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Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/252

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238 PAUVRES FLEURS excellent cœur. Je les ai si parfaitement devinées, que j’ai con- juré Victor Augier de te donner de mes nouvelles dans quelques lignes que je lui ai écrites le 14 au matin, durant une heure trompeuse où l’on laissait sortir et vivre… Je lui disais, je crois, que j’allais t’écrire aussi ; ce qui le justifie de son côté de ne t’avoir pas communiqué ma lettre, ou plutôt mon billet écrit en haletant encore de nos quatre premiers jours d’une sanglante semaine. Mais je n’ai pas pu tenir le vœu que je formais de te rassurer ; car Valmore, qui voulait aller aux informations de la vie de plusieurs connaissances, venait d’être arrêté au bas de l’escalier de la rue, par la sen- tinelle qui faisait rentrer à la hâte, sous peine de la vie. Ce serait replonger une âme dans l’eau-forte que de te raconter tout ce que nous venons de voir et de souffrir. Toutes les horreurs de la guerre civile ont désolé Lyon, durant six jours et demi et six nuits d’épouvantables terreurs. Le canon, les balles, le tocsin permanent, l’incendie partout, les maisons écroulées avec leurs infortunés habitants et la triste tentation de regarder aux fenêtres, punie partout de mort… Le danger était partout, la fuite était impossible. Nous nous sommes re- trouvés après ce grand fléau, tous étonnés et presque tristes d’être vivants au milieu de tant de victimes. Je rendais pour- tant mille grâces au ciel d’être près de mon mari dans ces graves circonstances ; que serais-je devenue en le sachant de loin au milieu de telles calamités ! Si la résignation la plus profonde peut être appelée du courage, j’en ai eu sur tout ce qui m’était personnel, mais mon âme se brisait pour tout ce qui m’entourait ; jamais la pitié n’a déchiré un cœur plus horriblement que le mien. "J’appelle une grâce de la Providence l’arrivée des forces imposantes qui contiendront toute révolte ; mais dans cette ville sauvage où le peuple ne craint pas la mort, le moindre mouvement nouveau de quelques imprudents peut nous replon- ger dans les horreurs qui viennent de se passer. Que Dieu nous regarde en pitié s’il nous en juge dignes ! Je ne peux pas avoir d’autre volonté que celle d’obéir à mon inflexible destinée. Faire son devoir est du moins une secrète consola-