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Page:Cavallucci - Bibliographie critique de Marceline Desbordes-Valmore, tome 1.pdf/386

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POÉSIES INÉDITES DE 1860

en la précisant, la création du rêve. La volonté n’est certes là pour rien. Si le poète avait eu conscience de ce qui se passait autour de lui sous l’empire des tortures éprouvées, il n’eût pas écrit, ou bien il eût cherché à donner la mesure et la rime aux tristes pensées, aux effrois qui secouaient si brutalement son cœur ; il eût raconté ses tourments, peut-être consigné dans ses vers le désespoir de la jeune victime qui criait : « Je ne veux pas mourir ! Je ne veux pas mourir ! » Mais n’est-il pas à croire que dans ce moment de prostration complète, la pauvre femme ne s’appartenait pas et n’était plus là qu’un instrument ? Qui donc touchait les cordes de cette harpe humaine ? Et ce n’est pas la seule circonstance de sa vie ou ce phénomène se soit présenté, mais c’est assurément la plus frappante. »

Quelques mois plus tard, Marceline écrira ces lignes douloureuses à son frère Félix :

15 juin 1847.

« … Mais si notre bon père et maman peuvent voir d’où ils sont ce que souffrent leurs enfants, je les plains, nous aimant toujours comme ils nous ont aimés ! Ce sont là des idées bien tristes ! Bien consolantes aussi pourtant ! Car le plus douloureux de toutes serait de penser que nous ne sommes plus rien pour ceux que nous pleurons toujours !

« Du reste, mon bon frère, il ne m’est pas permis d’appuyer sur les pensées profondes qui m’oppressent le cœur. Je n’ai pas assez de force, renversée comme je le suis sous les coups dont la Providence m’a frappée. Ma mémoire n’est encore qu’une torture pareille au supplice des criminels. Que la pitié du ciel en fasse un jour de la résignation ! À présent je n’en ai pas…

« Je cherche quelques adoucissements dans le travail. Mais écrire quoi que ce soit m’est impossible ; car toutes mes idées retournent vers ma bien-aimée Inés, mon adorable fille absente !

« … Le pauvre Drapier vient de m’écrire qu’après une attente accablante, il vient enfin d’obtenir une place de neuf francs dix sous par semaine ! » (Collection de la Bibliothèque de Douai).