Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/113

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Il ne retrouve plus ses membres engourdis.
Il ne peut secourir son ami ni son fils,
Ni soutenir son père, et sa main faible et lente
Ne peut serrer la main de sa femme expirante.

Fait en partie dans le vaisseau, en allant à Douvres couché et souffrant, le 6. Écrit à Londres, le 10 décembre 1787.


XX


Sans parents, sans amis et sans concitoyens,
Oublié sur la terre et loin de tous les miens,
Par les vagues jeté sur cette île farouche.
Le doux nom de la France est souvent sur ma bouche.
Auprès d’un noir foyer, seul, je me plains du sort.
Je compte les moments, je souhaite la mort ;
Et pas un seul ami dont la voix m’encourage.
Qui près de moi s’asseye, et, voyant mon visage
Se baigner de mes pleurs et tomber sur mon sein ;
Me dise : « Qu’as-tu donc ? » et me presse la main.

Londres, décembre 1787.


XXI


Le doux sommeil habite où sourit la fortune,
Pareil aux faux amis, le malheur l’importune.
Il vole se poser, loin des cris de douleurs,
Sur des yeux que jamais n’ont altérés les pleurs.


XXII

SUR LA MORT D’UN ENFANT


L’innocente victime, au terrestre séjour.
N’a vu que le printemps qui lui donna le jour.
Rien n’est resté de lui qu’un nom, un vain nuage,
Un souvenir, un songe, une invisible image.