Page:Chénier - Poésies choisies, ed. Derocquigny, 1907.djvu/114

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Adieu, fragile enfant échappé de nos bras ;
Adieu, dans la maison d’où l’on ne revient pas.
Nous ne te verrons plus, quand de moissons couverte
La campagne d’été rend la ville déserte ;
Dans l’enclos paternel nous ne te verrons plus,
De tes pieds, de tes mains, de tes flancs demi-nus,
Presser l’herbe et les fleurs dont les nymphes de Seine
Couronnent tous les ans les coteaux de Lucienne.
L’axe de l’humble char à tes jeux destiné.
Par de fidèles mains avec toi promené.
Ne sillonnera plus les prés et le rivage.
Tes regards, ton murmure, obscur et doux langage,
N’inquiéteront plus nos soins officieux ;
Nous ne recevrons plus avec des cris joyeux
Les efforts impuissants de ta bouche vermeille
À bégayer les sons offerts à ton oreille.
Adieu, dans la demeure où nous nous suivrons tous,
Où ta mère déjà tourne ses yeux jaloux.


XXIII


Le courroux d’un amant n’est point inexorable.
Ah ! si tu la voyais, cette belle coupable,
Rougir et s’accuser, et se justifier.
Sans implorer sa grâce et sans s’humilier,
Pourtant de l’obtenir doucement inquiète.
Et, les cheveux épars, immobile, muette.
Les bras, la gorge nue, en un mol abandon,
Tourner sur toi des yeux qui demandent pardon
Crois qu’abjurant soudain le reproche farouche,
Tes baisers porteraient son pardon sur sa bouche.


XXIV


Allez, mes vers, allez ; je me confie en vous ;
Allez fléchir son cœur, désarmer son courroux ;
Suppliez, gémissez, implorez sa clémence.
Tant qu’elle vous admette enfin à sa présence.