Page:Champsaur - Homo-Deus, Ferenczi, 1924.djvu/11

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bras longs battant les cuisses, la poitrine creusée, les genoux saillants, les jambes flageolantes et les pieds tournés, tels ceux d’un infirme misérable. Il ressemblait à ces bonshommes de toile et de son qu’on promène au bout des perches dans les campagnes, le jour du carnaval, et qui — la journée finie, ayant été malmenés, battus, à demi vidés de leur rembourrage — s’affalent comme des loques tristes et molles, ou des outres dégonflées.

Mais il marchait, ou plutôt il se traînait, en dodelinant de la tête et balançant les bras, comme s’il eût esquissé un pas de danse macabre, et, tout en zigzaguant, se ployant et se redressant, telle une baudruche monstrueuse, il se dirigea vers la limousine, s’y engouffra, non sans se cogner la tête à la portière, enfin s’étala sur les coussins.

Alors, ses facultés lui revenant soudain, l’agent comprit que le mort allait lui échapper. Le bruit caractéristique d’un embrayage de moteur ne lui laissait, d’ailleurs, aucune illusion. Il bondit vers l’automobile, enjamba le marchepied ; mais comme il se disposait à passer la tête par la portière, il vit se dresser devant lui la face horrible, épouvantée, du cadavre. Les yeux révulsés, tout blancs et vitreux, le fixèrent. Puis, brusquement, le bras flasque du mort se leva et l’agent reçut en pleine figure un coup de poing qui l’envoya rouler dans le ruisseau.

Il se releva tout de suite, mais pour voir la limousine mystérieuse démarrer, se perdre dans la nuit. La tête du mort pendait à la portière, et un rire sinistre glaça l’agent Hector d’épouvante.

Longtemps il se frotta les yeux, terriblement torturé, angoissé. Il s’assit sur le banc où, tout à l’heure, le mort ambulant reposait, car ses jambes ne le soutenaient plus. Son cœur défaillait ; et, se demandant s’il n’avait pas vécu un cauchemar, il tourna des yeux désespérés vers le ciel, un morceau qu’il pouvait apercevoir à travers la masse mauve de la voûte de feuilles des arbres de l’avenue. Au-dessus de ce mystère, le ciel indifférent, d’une