Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/467

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n’ont pas persuadé un seul homme ; bien qu’il soit impossible que la parole soit semée dans tant d’oreilles attentives sans rapporter aucun fruit, je l’accorde pourtant et je dis que, même dans ce cas, la parole ne reste pas stérile pour moi.
Plusieurs, dites-vous, sont entrés au cabaret oui, mais ils n’y sont pas entrés avec leur impudence accoutumée, mais le souvenir de mes discours, de mes reproches, de mes réprimandes les poursuit jusqu’à leur table ; ils se les rappellent, et ils rougissent, et ils ont dans le cœur la honte d’eux-mêmes. Avoir honte de soi, condamner intérieurement ses propres actions, voilà le commencement d’une excellente conversion et du salut. – Mais j’obtiens encore un autre profit qui n’est pas moindre lequel ? celui d’avoir rendu plus graves et plus recueillis encore ceux qui déjà étaient sages, et de leur avoir prouvé qu’ils ont pris le meilleur de tous les partis en résistant aux entraînements de la foule. Si je n’ai pas relevé les infirmes, du moins j’ai rendu plus vigoureux ceux qui ont la santé ; si je n’ai pas retiré certains mauvais sujets de leurs vices, du moins j’ai rendu plus vigilants ceux qui pratiquent la vertu. J’ajouterai une troisième raison : si je ne persuade pas aujourd’hui, peut-être persuaderai-je demain ; si ce n’est demain, ce sera le surlendemain ou le jour d’après. Celui qui écoute aujourd’hui la parole et qui lui résiste, peut-être l’écoutera-t-il demain et il la recevra ; s’il la dédaigne aujourd’hui et demain, peut-être lui ouvrira-t-il dans quelques jours un cœur docile. Quelquefois le pêcheur, après avoir traîné tout le jour son filet, se dispose, vers le soir, à quitter la plage, lorsque tout à coup il prend le poisson, qui, tout le jour, lui a échappé, et il s’en va joyeux. S’il nous fallait demeurer dans l’oisiveté et renoncer à toutes les entreprises à cause des chances fâcheuses qui nous menacent continuellement, il n’y aurait plus de vie pour nous ; l’ordre matériel tout entier, aussi bien que l’ordre spirituel, tomberait en ruine. Si le laboureur abandonnait sa culture à cause d’une ou deux ou plusieurs mauvaises saisons, nous ne tarderions pas à mourir tous de faim. Si le navigateur renonçait à la mer à cause d’une ou deux ou plusieurs tempêtes, la navigation serait bientôt supprimée et avec elle tous les avantages qu’elle procure à la vie humaine. Passez en revue tous les arts l’un après l’autre : si vous leur appliquez la règle que vous nous indiquez et que vous nous conseillez, tout périra bientôt, et la terre désolée n’aura plus d’habitants. Tout le monde sait cela : aussi, après avoir manqué une fois, deux fois, plus souvent encore le succès des entreprises auxquelles on s’applique, on y revient toujours avec le même entrain.
3. Nous aussi, mes frères, sachons ce que l’on sait dans le monde, et ne disons plus, ne crions plus : « A quoi bon tant de sermons ! ils ne servent à rien ! » Le laboureur, qui, après avoir semé son champ à deux ou trois reprises, se voit privé du fruit de son labeur, n’en recommence pas moins le même travail une fois de plus ; et souvent il répare en une seule année la perte de toutes les autres. Le marchand, après avoir essuyé quelques naufrages, n’abandonne pas la mer pour cela ; il dégage son navire, il appelle des matelots, il fait un emprunt, il entreprend les mêmes affaires qu’auparavant bien qu’il ne sache pas mieux qu’auparavant comment elles réussiront. Tous ceux (lui travaillent font ordinairement comme le laboureur et le marchand. Et, tandis que ces gens dépensent tant d’ardeur pour des choses d’un usage vulgaire alors même que le succès demeure incertain, nous, prédicateurs de la vérité éternelle, renoncerons-nous si vite à parler parce que notre parole ne sera pas écoutée ? Quelle indulgence mériterons-nous ? Quelle excuse donnerons-nous ? Et ces gens, quand ils échouent, n’ont personne qui les console de leurs pertes : Quand la mer a brisé le navire, personne ne vient au secours du naufragé dans sa détresse ; quand une pluie torrentielle a inondé les campagnes et noyé les semences, force est au laboureur de retourner en sa maison les mains vides. Mais il n’en est pas de même du prêtre qui instruit et qui exhorte.
Si nos auditeurs ne reçoivent pas la bonne semence que nous leur distribuons, s’ils ne rendent pas le fruit de l’obéissance, nous n’en gagnons pas moins devant Dieu une récompense proportionnée à nos efforts ; que nos exhortations aient été repoussées ou accueillies, cette récompense n’en sera pas moins belle pour nous, puisque nous aurons accompli tout ce qui dépendait de nous ; nous ne sommes pas tenus de persuader, mais seulement d’exhorter. Notre devoir est de prêcher, le leur est d’obéir. Si nous avons omis ce devoir de la prédication, nous n’avons droit à aucune rémunération, lors même que notre peuple opérerait les bonnes