Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/474

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Seigneur votre Dieu. (Id. 8, 10) Tant il est vrai qu’il est dans la nature des plaisirs de nous mener à l’oubli de Dieu. C’est pourquoi, vous aussi, mes amis, souvenez-vous, quand vous aurez pris place à table, qu’après le festin vous devez prier. Ne donnez qu’avec mesure la nourriture matérielle à votre estomac, de peur que votre corps appesanti ne puisse fléchir les genoux et qu’il ne se refuse à la prière. Ne voyez-vous pas les animaux, après leur pâture, fournir leur route, porter leurs fardeaux, remplir leur office ? Et vous, au sortir de table, serez-vous impropres et inhabiles à tout travail ? Mais alors éviterez-vous qu’on vous méprise plus qu’un âne ? Et pourquoi ? Parce que c’est alors surtout qu’il vous convient d’être modérés et maîtres de vous-mêmes. Le temps qui suit le repas est le temps de l’action de grâces : et l’action de grâces est l’œuvre, non pas de l’homme ivre, mais de l’homme qui se possède lui-même dans la sobriété et la tempérance.
9. Si donc vous ne voulez pas devenir plus brutes que les brutes, allez de la table à la prière et non pas au lit. Je sais bien que diverses personnes blâmeront mes paroles, en les accusant d’introduire une façon de vivre nouvelle et étrange. Mais moi, je blâmerai plus énergiquement la mauvaise habitude qui règne à présent chez nous. Qu’au sortir de table il faille se livrer non pas, au lit et au sommeil, mais à la prière et à la méditation des divines Écritures, le Christ lui-même nous l’a montré nettement ; quand il eut rassasié dans le désert les multitudes innombrables qui le suivaient, il ne les envoya pas se reposer et dormir, mais il les invita à écouter sa parole sacrée. Il ne les gorgea pas jusqu’à la satiété, jusqu’à l’ivresse ; dès qu’il eut satisfait à leur besoin, il les invita à prendre la nourriture de l’âme. Agissons de la même manière ; habituons-nous à ne prendre d’aliments que ce qu’exige l’entretien de notre vie, et jamais jusqu’à nous charger et à nous alourdir.
Nous n’existons pas et nous ne vivons pas pour manger et pour boire : nous mangeons pour vivre. Manger pour vivre, et non pas vivre pour manger, voilà l’ordre primitif ; mais nous, nous épuisons tout pour notre gourmandise, comme si nous n’étions venus au monde que pour elle. Du reste, pour attaquer plus vigoureusement la volupté et pour reprendre avec plus d’énergie ceux qui lui consacrent leur vie, voyons, revenons encore à la parabole de Lazare. Mes admonestations et mes conseils auront plus d’efficacité, quand vous verrez que ceux qui se livrent aux convoitises de leur ventre sont corrigés et punis, non pas seulement en paroles, mais par des châtiments effectifs. Le riche donc vivait au milieu de tous les vices, savourait chaque jour mille plaisirs et s’entourait du luxe le plus éclatant ; mais par là il ne faisait que se préparer à lui-même une plus terrible vengeance et des flammes plus ardentes, et que dresser contre lui-même l’implacable sentence de Dieu et un châtiment impitoyable.
Le pauvre Lazare gisait étendu à la porte ; mais il n’était pas d’humeur chagrine ; ni blasphèmes, ni injures ne sortaient de ses lèvres ; il ne disait pas comme beaucoup d’autres : « Que signifie ceci ? Voilà un homme qui passe sa vie dans le péché, dans la dureté, dans la cruauté, et qui pourtant jouit de toutes choses au-delà de ses besoins ; qui ne souffre d’aucune peine, d’aucun de ces accidents auxquels sont souvent exposés les autres hommes ; qui cueille la pure fleur de toutes les joies ! Et moi, je ne sais pas même où trouver la nourriture qui m’est strictement nécessaire ! A cet homme qui jette tout ce qu’il possède à des courtisans, à des parasites, à des débauchés, tous les biens coulent comme de source. Et moi, je suis couché ici en butte aux insultes et aux outrages des passants ; je meurs de faim ! Est-ce là la Providence ? Y a-t-il une justice qui s’occupe des affaires humaines ? » Il n’a rien dit de pareil, rien pensé de pareil ! La preuve ? La preuve c’est que les anges eux-mêmes l’emmenèrent de ce monde, lui formèrent un cortège et le déposèrent dans le sein d’Abraham : suprême honneur, qu’il n’eût pas obtenu, s’il eût blasphémé contre Dieu ! D’ordinaire, on n’admire cet homme que parce qu’il fut pauvre ; et moi, je veux vous montrer qu’il endura neuf supplices bien comptés, non pas qu’il méritât d’être puni, mais afin qu’il acquît une gloire plus belle, comme de fait il l’obtint.
La pauvreté sans doute est un rude mal. Ils le savent bien, tous ceux qui ont eu à la supporter. Aucune expression ne peut rendre le supplice qu’endurent ceux qui vivent dans la misère et qui n’ont pas la sagesse véritable. Lazare n’eut pas à souffrir la pauvreté seule ; la maladie y fut jointe, et la maladie avec tout ce qu’elle a de plus intolérable. Et voyez comment il prouve lui-même qu’il avait atteint le