Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/484

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être, un forgeron ou quelque personnage pareil, vous ne mesurez pas son bonheur à son rôle et à son vêtement, vous ne jugez pas de son rang par ces objets extérieurs ; mais vous le méprisez à cause de sa condition réelle. De même, considérez ce monde comme un théâtre où vous êtes assis, et en voyant les acteurs qui jouent sur cette scène, si vous apercevez beaucoup de riches, ne les regardez pas comme véritablement riches, mais comme jouant le rôle de gens riches. Car de même que l’acteur qui joue sur la scène le rôle de roi ou de général est souvent le domestique de ceux qui vendent des figues ou des raisins sur le marché ; de même celui que vous croyez riche est souvent très pauvre. En effet, si vous enlevez son masque, si vous dévoilez sa conscience et si vous descendez dans son cœur, vous y trouverez une grande indigence de vertu, et vous reconnaîtrez le moins honorable des hommes. Dans les théâtres, lorsque le soir est venu et que les spectateurs se sont retirés, les acteurs quittent la scène et déposent l’habillement demandé par leur rôle ; et ceux qui semblaient à tout le monde être des rois ou des généraux ; apparaissent désormais ce qu’ils sont véritablement. De même, lorsque la mort est venue, et que le spectacle de ce monde a cessé, tous les masques de la richesse et de la pauvreté sont déposés, et ceux qui les portaient s’en vont clans l’autre vie. Là, jugés seulement d’après leurs œuvres, ils apparaissent, les uns véritablement riches, les autres, pauvres ; les uns honorables, les autres méprisables.
4. Et souvent il arrive que tel qui sur la terre était rangé au nombre des riches se trouve là-bas le plus pauvre de tous : c’est ce qui arriva au riche dont nous parlons. Lorsque le soir, c’est-à-dire, lorsque la mort fut venue ; lorsqu’il fut sorti du spectacle de la vie présente et qu’il eut déposé son masque de théâtre, il apparut comme le plus pauvre de tous, et tellement pauvre qu’il n’avait pas même une goutte d’eau à sa disposition ; il en réclamait une, et il ne put faire accueillir sa demande. Y a-t-il une pauvreté comparable à la sienne ? Au reste, écoutez le récit évangélique : Levant les yeux, il dit à Abraham : Père, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau et qu’il en fasse tomber une goutte dans ma bouche. (Luc. 16, 24) Voyez-vous ce que c’est que l’affliction ? Lorsque Lazare était près de lui, le mauvais riche passait ; maintenant qu’il est éloigné, il l’appelle ; il considère avec un soin empressé, malgré la distance qui l’en sépare, celui que souvent il ne daignait pas même regarder quand il entrait dans sa maison ou qu’il en sortait. Mais pour quelle raison levait-il les yeux ? Plus d’une fois peut-être ce riche avait dit : « Qu’ai-je besoin de religion et de vertu ? Tous les biens coulent sur moi comme d’une source abondante, je jouis d’une brillante prospérité et d’un immense crédit, et je n’ai rien à craindre des événements imprévus : Pourquoi m’appliquerai-je à la vertu ? Ce pauvre, qui passe sa vie dans les exercices de la piété et de la justice, endure des maux innombrables. » C’est ce qu’un grand nombre de personnes disent encore maintenant. Dieu voulant donc extirper complètement ces mauvais raisonnements, leur fait voir que le vice doit s’attendre à un châtiment, tandis 'qu’une couronne de gloire est réservée aux couvres de religion.
Le riche ne vit pas Lazare seulement pour ce motif : ce fut encore afin qu’il souffrît, mais bien plus vivement, ce que le pauvre avait souffert le premier. De même que Dieu avait rendu plus violente l’épreuve de celui-ci en le plaçant sous le vestibule d’un homme riche et en le rendant témoin des jouissances d’autrui ; de même il rendit plus cruel le châtiment du riche en lui faisant voir de l’enfer où il gisait les délices de Lazare, afin que ses tourments devinssent plus intolérables, non-seulement par la nature du supplice, mais encore par leur comparaison avec la gloire de Lazare. Lorsque Dieu eut chassé Adam du Paradis terrestre, il lui fit habiter un lieu qui se trouvait en face, afin que la vue continuelle de ce Paradis, en renouvelant son affliction, lui rendît plus sensible la perte des biens qu’il ne possédait plus. Il plaça de même le riche en face de Lazare pour qu’il vît de quels biens il s’était privé lui-même J’avais envoyé à ta porte, semble-t-il lui dire, le pauvre Lazare, afin qu’il fût pour toi une leçon de vertu et une occasion de pratiquer l’humanité ; tu n’as pas daigné en profiter, tu n’as pas voulu user à propos de ce moyen de salut : qu’il serve désormais à augmenter ton supplice et tes tourments. Ceci nous apprend que tous ceux que nous avons offensés et à qui nous avons fait tort se trouveront alors face à face avec nous. Cependant le riche n’avait pas opprimé Lazare ; il ne lui avait pas enlevé ses biens, mais il ne lui avait