Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/485

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pas donné une part des siens. Or, si celui qui n’use pas généreusement de ses biens trouve un accusateur dans celui à qui il n’a pas fait l’aumône, celui qui a ravi le bien d’autrui, quel pardon obtiendra-t-il, quelle excuse alléguera-t-il lorsqu’il se verra entouré de toutes parts par ceux qu’il aura opprimés ? Là, on n’aura besoin ni de témoins, ni d’accusateurs, ni de preuves, ni de pièces de conviction, mais les choses elles-mêmes apparaîtront à nos yeux telles que nous les aurons faites.
Voilà l’homme, dira le juge, et voilà ses œuvres. Eh bien ! c’est aussi un vol que de ne pas faire l’aumône avec ses biens. Cette parole vous paraît peut-être étonnante ; mais n’en soyez pas surpris ; je vais vous citer le témoignage des divines Écritures : elles disent que non-seulement ravir les biens d’autrui, mais refuser de donner part aux autres dans les biens qu’on possède est un vol, une usurpation, une spoliation. Voici ce témoignage. Dieu réprimandant les Juifs par la bouche d’un prophète, s’exprime ainsi : La terre a donné ses fruits et vous n’avez pas apporté les dîmes ; mais ce que vous avez ravi au pauvre est dans vos maisons. (Mal. 3, 10) C’est comme s’il disait : Parce que vous n’avez pas offert les oblations habituelles, vous avez ravi ce qui est au pauvre. Et par ces paroles, il montre aux riches qu’ils ont en leur possession les biens des pauvres, quand même ils n’auraient fait que recevoir l’héritage paternel, quand même ils se seraient procuré leur richesse de quelqu’autre manière. Et ailleurs Dieu dit encore : Ne dépouillez pas le pauvre de sa subsistance. (Sir. 4, 1) Or, le spoliateur ravit le bien d’autrui, car la spoliation consiste à prendre et à retenir le bien d’autrui. Cela nous enseigne donc que si nous ne faisons pas l’aumône nous serons punis à l’égal des spoliateurs. Les richesses appartiennent au souverain Maître, de quelque manière que nous les amassions ; et si avec elles nous assistons les indigents, nous obtiendrons en retour la plus magnifique opulence. Si Dieu vous a destinés à posséder de grands biens, ce n’est pas pour que vous les consumiez dans la prostitution, dans l’ivrognerie, dans la bonne chère, dans la somptuosité des vêtements, dans la mollesse ; c’est pour que vous en fassiez la distribution aux pauvres. Si un receveur public, au lieu de s’occuper des sujets auxquels il a reçu ordre de distribuer l’argent royal, le fait servir à ses propres jouissances, il est livré au supplice et à la mort. Le riche, lui aussi, est receveur de trésors qui doivent être distribués aux pauvres ; il a charge de les répartir aux indigents qui, comme lui, sont les serviteurs du Maître. S’il en absorbe pour lui-même plus qu’il n’est nécessaire, il subira dans l’autre vie de cruels supplices : ses possessions ne sont pas à lui seul, elles sont à ses frères.
5. Ménageons donc ces biens comme biens d’autrui, si nous voulons qu’ils deviennent nôtres. Mais de quelle façon les ménager comme biens d’autrui ? En ne les employant pas à des usages inutiles ou purement personnels, en les déposant avec une sage mesure entre les mains des pauvres. Fussiez-vous dans l’opulence, si vous dépensez plus qu’il n’est nécessaire, vous rendrez compte des biens qui vous ont été prêtés. Il se passe dans les palais des grands quelque chose de semblable. Beaucoup d’entre eux confient leurs trésors à certains serviteurs ; mais ces hommes de confiance ne font que garder ce qui leur a été remis, ils n’en usent pas ; ce n’est que sur l’ordre de leur maître qu’ils les distribuent à ceux qui leur sont indiqués. Vous aussi, agissez de cette sorte. Vous avez reçu la fortune plus abondamment que d’autres : ce n’est pas pour que vous en jouissiez seul, mais afin que vous en soyez pour les autres le fidèle économe.
Il n’est pas inutile d’examiner pour quel motif le riche voit Lazare dans le sein d’Abraham et non pas auprès d’un autre juste. Abraham fut hospitalier : c’est donc pour le confondre de son inhospitalité que le riche voit Lazare avec Abraham. Ce patriarche en effet était toujours à guetter les passants pour les emmener sous sa tente ; le riche au contraire ne regarda que d’un œil méprisant le pauvre qui gisait dans sa propre demeure ; et, tandis qu’il avait à sa disposition un tel trésor et un moyen de salut si efficace, il passait chaque jour à côté sans y faire attention, et, dans son indigence, il dédaignait de recourir au patronage de ce pauvre. Abraham n’était pas de ce caractère, il agissait tout différemment. Assis à la porte de sa maison, il prenait comme au filet tous les passants semblable au pêcheur qui, jetant son filet dans la mer, amène au rivage parfois un poisson et parfois aussi de l’or et des perles, le patriarche, voulant prendre des hommes, prit des anges ; et (chose merveilleuse !) cela sans le savoir.
Voilà ce que rappelle saint Paul, quand il