Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/486

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fait l’éloge d’Abraham en ces termes : Gardez-vous de négliger l’hospitalité : c’est par elle que certains hommes ont eu pour hôtes des anges, sans le savoir. (Heb. 13, 2) Il fait bien de dire sans le savoir. Si Abraham l’avait su, en les accueillant avec tant de bienveillance, son action n’aurait eu rien de grand, rien d’extraordinaire. Mais il mérite tout éloge, parce que, ne sachant pas quels étaient ces passants, et les regardant comme des hommes, comme de simples voyageurs, il les invita avec tant d’ardeur à entrer dans sa demeure. Si donc vous montrez, vous aussi, un vif empressement lorsque vous recevez un hôte illustre et distingué, vous ne faites rien de merveilleux : l’homme le plus inhospitalier se voit souvent forcé, par le mérite de l’hôte qu’il reçoit, de montrer toute sorte de bienveillance. Mais, quand nous recevons avec une abondante charité les premiers venus, des gens vils et abjects, alors nous faisons une action vraiment grande et digne d’admiration. C’est pourquoi le Christ a dit à la louange de ceux qui agissent de cette sorte : Tout ce que vous aurez fait à un seul de ces petits, c’est à moi-même que vous l’aurez fait. Et encore :Ainsi ce n’est pas la volonté de votre Père qu’aucun de ces petits périsse. (Mat. 25, 45) Et encore : Si quelqu’un scandalisait un de ces petits, mieux vaudrait pour lui qu’on mît à son cou une meule de moulin et qu’on le jetât dans la mer. (Id) Partout le Christ tient grand compte des petits et des humbles. Pénétré lui-même de cette vérité, Abraham ne demandait pas aux passants (comme nous faisons maintenant) quels ils étaient et d’où ils venaient : il les accueillait tous sans distinction. Celui qui exerce l’hospitalité ne doit pas demander compte de la vie ; il n’a qu’à porter remède à la misère et à pourvoir aux besoins.
Le pauvre n’a qu’une seule recommandation son indigence, sa détresse ; ne lui demandez rien de plus. Fût-il le plus pervers de tous les hommes, s’il manque des aliments nécessaires, nous devons apaiser sa faim. Voilà ce que le Christ nous ordonne de faire, quand il dit : Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux : il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants.; il fait tomber sa pluie sur les justes et sur les pécheurs. (Mat. 5, 45) L’homme compatissant est le port de salut pour tous ceux que presse le besoin ; le port s’ouvre à toutes les victimes du naufrage, il les sauve toutes ; il reçoit dans son sein tous ceux que le danger menace, qu’ils soient bons, qu’ils soient mauvais, qu’ils soient tout ce que vous voudrez. Vous aussi, lorsque vous voyez un naufragé de la misère, ne lui faites pas subir un jugement, une enquête sur les faits et gestes de sa vie mais remédiez vite à sa peine. Pourquoi vous, susciter à vous-mêmes des embarras ? Dieu vous a déchargés de toute sollicitude et de toute curiosité à cet égard. Que de paroles se diraient souvent, que de difficultés surgiraient, si Dieu nous ordonnait d’examiner avec soin la vie et la conduite de chaque pauvre avant d’accorder l’aumône ! Nous sommes délivrés de tout ce souci : pourquoi donc nous donner des inquiétudes superflues ? Autre est la charge de juge, autre celle d’homme aumônier I L’aumône ne mérite son nom[1] que parce que nous la faisons même aux indignes. C’est à quoi saint Paul nous exhorte en ces termes : Ne vous lassez jamais de faire du bien à tous, mais principalement aux serviteurs de la foi. (Gal. 6, 9) Si nous recherchons curieusement, pour les écarter, ceux qui sont indignes, nous ne mettrons pas facilement la main sur ceux qui sont dignes ; si au contraire nous donnons part dans nos bienfaits même aux indignes, alors ceux qui sont dignes, ceux dont la vertu compense la malice de tous les autres s’offriront à nous. C’est ce qui arriva au bienheureux Abraham qui n’examinait pas d’un regard inquisiteur quels étaient les passants. il lui fut accordé de recevoir les anges. Soyons donc ses imitateurs, ainsi que ceux de Job, un de ses descendants ; car celui-ci mit en pratique avec un zèle parfait les exemples de magnanimité que lui avait donnés son ancêtre : c’est pourquoi il disait : Ma porte était ouverte à tout venant. (Job. 31, 32) Elle n’était pas ouverte à celui-ci et fermée à celui-là ; elle était ouverte à tous indifféremment.
6. Faisons de même, je vous en conjure ; n’examinons rien avec plus de souci qu’il ne faut. Pour que le pauvre soit digne de l’aumône, sa pauvreté suffit : si quelqu’un vient à nous avec cette – recommandation, n’en cherchons pas davantage. C’est à l’homme que nous donnons, et non pas à sa conduite : ayons compassion de lui, non pas à cause de sa vertu, mais à cause de sa misère, si nous voulons attirer sur nous la grande miséricorde de Dieu et nous concilier ainsi malgré notre indignité sa bienveillance. En effet, si nous allions vouloir

  1. Allusion au sens étymologique du terme eleemosune.