Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/487

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juger du mérite de nos semblables et examiner scrupuleusement leur conduite, Dieu agirait de même à notre égard, et en exigeant des comptes de nos frères nous perdrions tout droit à la bonté d’en haut. Car, dit l’Esprit-Saint\it, vous serez jugés conformément à la manière dont vous aurez jugé les autres. Mais revenons à notre sujet. Le riche, voyant Lazare dans le sein d’Abraham, s’écria : Père Abraham, ayez pitié de moi, et envoyez Lazare !
Pour quelle raison ne s’adresse-t-il pas à Lazare ? C’est, je pense, parce qu’il fut couvert de confusion et qu’il rougit de honte ; de plus il pensait que Lazare gardait un fidèle souvenir de la conduite qu’il avait tenue à son égard. Il se dit en lui-même : Si lorsque je jouissais d’une si grande opulence, et sans qu’il m’eût jamais offensé, je n’ai eu que du mépris pour cet homme qui souffrait de si grands maux, et ne lui ai pas même fait part de mes miettes, à plus forte raison lui, que j’ai tant méprisé, n’acquiescera-t-il pas à la faveur que je réclame. Ici ce n’est pas une accusation que je porte contre Lazare, car il n’était pas dans ces dispositions, bien loin de là ; mais je dis que ce fut cette crainte qui porta le riche à ne pas recourir à lui, mais à Abraham, qu’il croyait ignorer ce qui s’était passé. Il réclamait l’intervention de ce doigt que souvent il avait laissé lécher par les chiens. Et quelle fut la réponse d’Abraham ? Mon fils, tu as reçu les biens pendant ta vie. Remarquez la sagesse, remarquez la bienveillance du Juste. Il ne lui dit pas : Barbare, cruel, scélérat, après avoir causé à cet homme de pareilles douleurs, tu parles maintenant de bienveillance, de miséricorde et de pardon ! Est-ce que tu ne rougis pas de honte ? Que lui dit-il donc ? Mon fils, tu as reçu les biens. En effet, il est écrit : N’augmentez pas le trouble de l’âme qui est dans la peine. (Sir. 4, 3) Il a bien assez de son supplice, n’insultons pas à son malheur. Et pour que vous ne pensiez pas qu’il gardait le souvenir du passé, et qu’il empêcha pour cette raison Lazare de partir, Abraham nomme le riche son fils, et cette appellation suffit à sa justification. Ce qui est en mon pouvoir, semble-t-il dire, je te le donne ; mais aller d’ici vers toi est chose impossible. Tu as reçu les biens. Pourquoi ne dit-il pas tu as pris, mais, tu as reçu ? Ici je vois s’ouvrir devant moi une mer immense de considérations. Afin donc de conserver avec soin tout ce qui a été dit, déposons en lieu sûr les paroles d’aujourd’hui et celles que j’ai prononcées récemment, et que les choses que nous avons dites vous disposent à prêter une oreille plus bienveillante encore aux choses que nous dirons plus tard. Si vous le pouvez, souvenez-vous de tout ; si vous ne le pouvez pas, souvenez-vous au moins, je vous conjure, de ceci, qui remplacera tout le reste, à savoir, que refuser aux pauvres une part dans nos propres biens, c’est frustrer les pauvres, c’est leur enlever leur vie : les biens dont nous sommes détenteurs ne sont pas seulement à nous, mais aussi à eux. Si notre âme est ainsi disposée, nous nous dessaisirons volontiers de nos richesses ; et, après avoir nourri en ce monde le Christ souffrant de la faim, après nous être amassé là-haut un opulent trésor, nous pourrons entrer en possession des biens futurs par la grâce et par la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, avec le Père et l’Esprit-Saint, honneur, puissance et gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.