Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/502

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ne pas croire que les choses humaines marchent au gré d’un hasard aveugle, parce que le juste souffre sur la terre, et que l’homme méchant et scélérat y jouit d’une prospérité continuelle. Tous deux recevront ailleurs, l’un le prix et la couronne de sa résignation et de sa patience, l’autre le châtiment et la peine de ses crimes et de sa perversité. Riches et pauvres, gravez cette parabole, vous sur les murs de vos maisons, vous dans l’intérieur de vos âmes ; n’en perdez jamais le souvenir, rappelez-la toujours à votre mémoire. Ou plutôt, riches, gravez-la vous-mêmes dans vos cœurs et non sur vos murs, portez-la sans cesse avec vous, et elle vous donnera les plus utiles leçons de sagesse et de philosophie chrétienne. En effet, si nous portions cette parabole gravée au dedans de nous-mêmes, si nous y pensions continuellement, ni les joies ni les peines de ce monde ne pourraient ni nous enfler ni nous abattre : nous les verrions les unes et les autres avec la même indifférence que nous regardons de simples peintures sur le bois ou sur la toile. Et comme en voyant un riche et un pauvre représentés dans un tableau, nous ne sentons ni jalousie pour l’un ni mépris pour l’autre, par la raison que ce qui s’offre à nos yeux n’est qu’une ombre et non la réalité : de même, si nous connaissions la vraie nature de la pauvreté et des richesses, de l’ignominie et de la gloire, de toutes les autres choses tristes et agréables, nous serions bientôt affranchis de tous les troubles qu’elles peuvent occasionner en nous. Oui, tous les objets du siècle sont plus trompeurs qu’une ombre ; et une âme grande et généreuse n’est pas plus éblouie et enorgueillie par la splendeur de la plus haute fortune, qu’affligée et consternée par la bassesse de la condition la plus obscure.
Mais écoutons et achevons d’expliquer les paroles du riche : Je vous conjure et je vous supplie, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père où j’ai cinq frères, afin qu’il leur annonce ce que je souffre, et qu’ils ne viennent pas dans ce lieu de tourment. Il demande pour d’autres, n’ayant pu rien obtenir pour lui-même. Voyez combien la punition l’a rendu doux et humain : lui qui avait méprisé et dédaigné Lazare, quoique présent et sous ses yeux, songe à d’autres qu’il ne voit pas ; plein d’égard et d’attention, il s’occupe d’eux avec inquiétude, il cherche tous les moyens de les garantir des maux qui les menacent. Il conjure Abraham d’envoyer Lazare dans la maison de son père, dans l’endroit même où ce généreux athlète a signalé toute sa vertu. Que ceux, semble-t-il dire, qui l’ont vu combattre ; le voient couronné ; que ceux qui ont été les témoins de son indigence, de la faim et de tous les maux qu’il a soufferts, le soient du changement heureux qu’il éprouve, de la gloire et des honneurs dont il est comblé ; afin qu’instruits par ce double exemple, et convaincus que tout ne finit pas avec cette vie, ils se disposent à éviter le supplice et les tourments que leur frère endure. Que lui répond Abraham ? Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. Vous n’êtes pas aussi occupé de vos frères que Dieu qui les a créés, qui leur a donné une infinité de maîtres pour les avertir, les conseiller et les reprendre. Non, père Abraham, réplique le riche, mais si quelqu’un des morts va les trouver, ils le croiront. On sait quel est le langage du peuple : Où sont maintenant ceux qui nous ont parlé d’une autre vie ? qui en est revenu ? qui est ressuscité des morts, et nous a rapporté ce qui se passe dans un autre monde ? Par combien de pareils propos le riche ne s’était-il pas abusé lui-même lorsqu’il vivait dans les délices ? Car ce n’est pas sans raison qu’il demandait qu’on envoyât quelqu’un des morts à ses frères : et comme il avait méprisé les Écritures, qu’il s’en était moqué, qu’il avait regardé comme des fables ce qu’elles disent d’une autre vie, il supposait à ses frères les sentiments qu’il avait éprouvés lui-même. Ils se défieront, dit-il, des Écritures ; mais si quelqu’un des morts va les trouver, ils ne refuseront pas de croire, ils ne se moqueront point de ce qu’on leur dira, ils y feront plus d’attention. Que répond Abraham ? S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, quand quelqu’un des morts ressusciterait, ils ne l’écouteraient pas davantage. Les Juifs sont une preuve que celui qui n’écoute pas les Écritures, n’écouterait pas les morts s’ils ressuscitaient ; ils n’avaient écouté ni Moïse ni les prophètes, ils n’ont pas cru non plus les morts qu’ils voyaient ressuscités, mais ils cherchaient à faire périr Lazare, et ils persécutaient les apôtres, quoique plusieurs morts eussent été rendus à la vie dans le temps de la prédication de la croix.
3. Mais afin d’apprendre d’ailleurs que les instructions des prophètes sont plus sûres que les témoignages des morts, considérez que tout