Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/514

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

oublier les êtres chers que l’on pleure, on est inconsolable, on souffre doublement, et par la tendresse de la nature et par le souvenir de leurs excellentes qualités. Or, ce qui prouve que les enfants de Job étaient vertueux, c’est (lue leur père les élevait avec le plus grand soin, qu’en se levant il faisait pour eux un sacrifice, qu’il craignait pour leurs fautes cachées, qu’il était singulièrement jaloux de leur perfection : ce qui annonce et la vertu des enfants et la tendresse du père. Job était père et père tendre, ses enfants étaient vertueux, les sentiments de la nature et l’amour de la vertu s’unissaient pour augmenter dans son cœur le regret de leur perte, et ainsi la douleur qui brûlait dans son âme s’alimentait à un triple foyer. De plus, lorsqu’on ne se voit enlever qu’une partie de ses enfants, on ne reste pas sans consolation : ceux qui sont laissés adoucissent la douleur causée par la mort de ceux qui sont ôtés. Mais lorsqu’on les a perdus tous, sur qui se reposera un malheureux père qui comptait beaucoup d’enfants, et qui se voit tout à coup sans enfants ? Il était pour Job une cinquième circonstance accablante ; quelle est-elle ? c’est de s’être vu enlever tous ses enfants à la fois. Lorsqu’ils en ont perdu un seul en peu de jours, les femmes et tous les parents se plaignent amèrement que celui qu’ils ont vu mourir, ait disparu soudain de leurs yeux quelle peine n’a donc pas dû ressentir le père à qui tous ses enfants ont été enlevés, non en deux jours, non en un seul jour, mais en une seule heure ? Le mal que le temps a laissé pré voir, quelque insupportable qu’il soit en lui-même, devient plus léger, parce qu’on s’y est attendu : mais il est bien difficile de le supporter, quand il arrive tout à coup et contre toute attente. Lors donc que, déjà grave par lui-même, le mal est encore aggravé par un choc imprévu et subit, songez combien il doit être accablant, au-dessus de toute expression. Voulez-vous entendre une sixième circonstance ? Job a perdu tous ses enfants à la fleur de l’âge. Or, vous savez combien les morts prématurées sont sensibles, et à quel excès elles nous portent dans la douleur qu’elles nous causent. Enfin, et c’est une septième circonstance, leur mort ne fut pas seulement prématurée, mais encore violente. Job ne vit pas ses enfants expirer dans un lit, mais ensevelis tous sous les ruines de sa maison. Songez donc quels devaient être les sentiments d’un père au milieu de toutes ces ruines, d’un père qui tirait des décombres tantôt une pierre, tantôt un membre sanglant d’un de ses fils, qui voyait une main tenant encore une coupe, une autre étendue vers un des mets ; s’il découvrait un corps, il n’avait même plus la forme humaine, le front, les yeux, la bouche, tous les traits du visage étaient si défigurés par mille blessures diverses, qu’un père tendre ne pouvait reconnaître des enfants chéris. Ce seul récit vous touche, et vous pleurez ; songez quelle devait être la force de celui qui était le témoin d’un pareil spectacle ; et si après un si long espace de temps, nous ne pouvons, sans verser des larmes, entendre raconter cette déplorable catastrophe, quoiqu’elle nous soit étrangère, quelle devait être la constance de celui qui voyait ce désastre de ses propres yeux, qui ne raisonnait pas sur le malheur d’un autre, mais qui supportait le sien propre ! Job demeura calme et résigné, il ne se permit aucune plainte ; il ne dit pas : Quoi donc ! est-ce là le prix que je reçois de ma bienfaisance ? n’ai-je ouvert ma maison aux étrangers que pour la voir devenir le tombeau de mes enfants ? n’ai-je travaillé à former mes enfants dans toutes les vertus que pour les voir subir une fin aussi triste ? L’homme juste ne fit entendre aucune de ces plaintes, il n’y pensa pas même ; mais il supporta courageusement toutes ces pertes, quoiqu’il eût élevé avec le plus grand soin les enfants que lui enlevait une mort cruelle. De même qu’un habile statuaire perfectionne et finit ses statues avec la plus grande attention ; ainsi Job avait formé lui-même, avait orné l’âme de ses enfants. Et comme un jardinier laborieux arrose, munit, garantit, cultive de toutes les façons les racines des palmiers et des oliviers : de même Job ne cessait pas de cultiver l’âme de chacun de ses enfants, de la rendre propre à produire de plus grands fruits de vertu. Cependant il vit ces racines arrachées par un souffle violent du malin esprit, étendues par terre, périr de la manière la plus misérable ; et loin de proférer aucun murmure, il rendit grâces à Dieu, et par là porta un coup mortel au démon.
5. Si vous faites cette réflexion que Job avait plusieurs enfants, que d’autres ont souvent perdu un fils unique chéri, et que cette dernière perte est d’une autre nature ; votre réflexion est juste, et je conviens avec vous que