Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/515

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les pertes de Job n’étaient pas de la même nature, c’est-à-dire qu’elles devaient être beaucoup plus sensibles : car enfin à quoi lui a servi d’avoir plusieurs enfants, sinon à aggraver sa disgrâce, à rendre sa douleur plus amère, en le frappant d’autant de coups qu’il perdait de têtes ?
Mais si vous voulez voir un père qui n’ayant qu’un fils, montre autant et même plus de courage, rappelez-vous le patriarche Abraham, qui ne vit pas Isaac mourir, mais ce qui était beaucoup plus triste, beaucoup plus douloureux, qui reçut l’ordre de l’immoler lui-même, sans disputer contre cet ordre, sans se révolter contre Dieu qui le lui signifiait, sans lui adresser ces plaintes : Pourquoi m’avez-vous fait père ? était-ce afin de me rendre meurtrier de mon enfant ? Il valait mieux ne pas me donner un fils, que de me l’ôter de cette manière après me l’avoir donné. Vouliez-vous le prendre ? pourquoi me commander de l’immoler de ma main, de souiller mon bras de son sang ? Ne m’avez-vous pas promis de remplir la terre de ma postérité par cet enfant même ? peut-on donner des fruits lorsqu’on ôte la racine ? pouvez-vous me promettre une postérité en me commandant d’immoler mon fils ? a-t-on jamais rien vu, a-t-on jamais rien entendu de semblable ? Ah ! sans doute, j’ai été trompé, j’ai été abusé. Loin de tenir ce langage et d’y songer même, loin de disputer contre l’ordre du Seigneur et de lui en demander compte, dès qu’il lui eut, dit : Prenez votre fils unique qui vous est cher, Isaac, et conduisez-le sur une des montagnes que je vous indiquerai (Gen. 22, 2), il exécuta cet ordre avec tant de zèle qu’il fit même plus que ce qui lui était prescrit. En effet, il cacha ce sacrifice à sa femme et à ses serviteurs, laissa ceux-ci au bas de la montagne, et ne prit avec lui que la victime : tant il obéissait avec empressement et sans aucune résistance ! Songez quel embarras c’était pour un père dé s’entretenir seul avec son fils sans que personne fût présent, lorsque les entrailles se troublent davantage, lorsque toute la tendresse se réveille, et de s’entretenir avec ce fils plusieurs jours de suite. S’il avait exécuté dans le moment l’ordre qui lui était donné, ce serait quelque chose de grand et d’admirable, mais non pas d’aussi admirable que de ne ressentir aucune faiblesse pour son cher Isaac, quoique sa tendresse fût mise à l’épreuve pendant plusieurs jours. Dieu lui a ouvert un plus grand champ, une ##Rem lice plus étendue, afin que vous puissiez mieux contempler ce généreux athlète ; car c’était vraiment un athlète qui ne combattait point contre un autre homme, mais contre la force impérieuse de la nature. Quel discours pourrait exprimer son courage ? il a conduit lui-même son cher fils, l’a lié, l’a mis sur le bûcher ; il a pris le glaive, et il était prêt à frapper le coup. Je ne puis dire comment il a pu remplir ce triste ministère ; c’est ce qui n’est connu que du prêtre de ce sacrifice nouveau : la parole ne peut y atteindre. Comment son bras ne s’est-il pas desséché ? comment les nerfs de sa main ne se sont-ils pas retirés ? comment la vue d’un enfant chéri n’a-t-elle pas jeté le trouble dans son âme ? Isaac ne mérite pas moins notre admiration. Le fils était aussi soumis à son père que le père était soumis à Dieu. L’un n’a pas demandé compte à Dieu de l’ordre qu’il lui donnait d’immoler son fils ; l’autre n’a pas demandé raison à son père de sa conduite, lorsqu’il le liait et le menait à l’autel, mais il à courbé docilement sa tête sous le bras paternel. On vit alors dans le même homme un père et un sacrificateur ; on vit un sacrifice oit il n’y eut pas de sang répandu, un holocauste sans feu, un autel offrant l’image de la mort et de la résurrection ; car Abraham acheva le sacrifice et ne l’acheva point : son bras n’immola point son fils, mais son cœur l’immola. Et si Dieu lui signifia un pareil ordre, ce n’était point pour voir répandre le sang, mais pour nous faire connaître les sentiments d’une âme généreuse, pour proclamer son courage dans tout l’univers, et apprendre à tous les siècles futurs qu’il faut sacrifier aux ordres du Seigneur ses enfants, la nature, tous les biens, sa vie même. Abraham descendit donc de la montagne, et ramena dans Isaac vivant un témoin de sa noble résignation.
Quelle excuse, je le demande, quelle défense nous restera-t-il, si, lorsque nous voyons un père généreux obéir au Seigneur avec tant de promptitude, lui abandonner tout ce qu’il a de plus cher, nous nous révoltons contre la Providence ? Ne me parlez point d’affliction, ni de disgrâce insupportable, mais considérez qu’Abraham était supérieur à l’affliction la plus accablante : l’ordre qu’il recevait était capable de troubler sa raison, de le jeter dans l’embarras, de renverser sa foi pour les promesses qui lui avaient été faites. En effet, qui du commun des