Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

n’avait nul souci de la maîtresse, c’est-à-dire, de son âme exténuée par la faim. Sa maison était ornée de guirlandes, mais la poussière du péché en couvrait les fondements ; son âme était ensevelie dans le vin. Cet homme riche s’asseyait donc à une table somptueuse, ses cratères étaient remplis de vin jusqu’au bord ; il nourrissait des parasites et des flatteurs, cette bande infernale, ces loups affamés qui réduisent en servitude la plupart des riches, qui achètent la perte de ces infortunés en emplissant leurs ventres, et qui épuisent les richesses à force d’obséquiosités et de flatteries.
Il ne se tromperait pas, celui qui donnerait le nom de loups à ces hommes qui, plaçant comme une brebis le riche au milieu d’eux, excitent en lui l’orgueil par leurs louanges, et la présomption par leurs éloges, et ne lui permettent pas d’apercevoir la plaie, ruais aveuglent son esprit et augmentent les ravages de son ulcère. Ensuite lorsqu’arrive un changement de fortune, les amis prennent la fuite, et nous qui adressions des reproches, nous nous montrons compatissants. Les figures d’emprunt se cachent, et cela est arrivé déjà bien souvent.
5. Cet homme riche nourrissait donc des parasites et des flatteurs, faisant ainsi de sa maison une salle de spectacle ; il se plongeait avec eux dans la dissolution et dans le vin, il jouissait d’une heureuse prospérité ; mais il y avait aussi un autre homme nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères, qui gisait à la porte du riche et qui désirait les miettes de sa table. Il avait soif auprès de la source ; il avait faim, et l’abondance était à ses côtés. Et où avait-il été jeté ? Ce n’est pas dans le carrefour, ce n’est pas dans la rue, ce n’est pas dans l’impasse, ce n’est pas au milieu de la place publique, c’est à la porte du riche, à l’endroit où celui-ci devait nécessairement passer pour entrer et sortir, afin qu’il ne pût dire : je ne l’ai pas vu, j’ai passé outre ; mes yeux n’ont rien aperçu. A l’entrée de ta maison une perle git dans la boue, et tu ne la regardes pas ! Le médecin est à ta porte, et tu n’as pas recours à lui ! Le pilote est dans le port, et tu fais naufrage ! Tu nourris les parasites, et tu ne nourris pas les pauvres ! C’est ce qui arrivait alors, et c’est ce qui arrive encore aujourd’hui ; et ces choses ont été écrites afin qu’elles servent d’enseignement à la postérité, et qu’elle n’ait pas à souffrir ce que cet homme eut lui-même à souffrir. À la porte gisait donc le pauvre, pauvre, il est vrai, à l’extérieur, mais riche intérieurement. Il gisait, ayant le corps couvert d’ulcères : c’était un trésor qui présentait des épines à la surface et des perles au dedans. Quel dommage la maladie de son corps lui cause-t-elle, puisque son âme se porte bien ? Que les pauvres écoutent et qu’ils ne se laissent point aller au découragement ! que les riches écoutent et qu’ils abandonnent la méchanceté !
On expose à vos yeux cette double image des richesses et de la pauvreté, de la cruauté et de la résignation, de la patience et de l’avarice, afin que si vous voyiez un pauvre couvert d’ulcères et méprisé, vous ne le regardiez pas comme malheureux ; et que si vous voyiez un riche superbement paré, vous ne le regardiez pas comme heureux. Recourez alors à notre parabole. Si vous craignez que votre raisonne fasse naufrage, rentrez au port ; cherchez de la consolation dans ce récit ; pensez à Lazare méprisé, pensez au riche qui vivait dans les délices et la prospérité, et ne vous laissez troubler par aucun des événements de la vie présente. Si vous tenez comme il faut le gouvernail de votre raison, vous ne serez point submergé par les flots du découragement ; votre barque ne sombrera pas si, par de sages réflexions, vous savez discerner la véritable nature des choses. Pourquoi me dites-vous : mon corps est réduit à l’extrémité ? Que votre esprit n’en souffre aucun préjudice. – Un tel est riche et méchant. – Et qu’importe ? Au reste la méchanceté ne tombe pas sous les sens. Ne jugez pas l’homme par ce qui paraît au-dehors, mais par l’intérieur. Quand vous apercevez un arbre, sont-ce les feuilles que vous considérez ou bien le fruit ? Agissez de même à l’égard de l’homme. Si vous voyez un homme, ne le jugez pas par l’extérieur, mais par l’intérieur : examinez le fruit et non les feuilles. C’est peut-être un olivier sauvage, et on le prend pour un olivier franc ; c’est peut-être un loup, et on le prend pour un homme ! Si donc vous voulez connaître quelqu’un, n’examinez pas sa nature, mais ses intentions ; son visage, mais ses sentiments ; et non-seulement ses sentiments, mais son genre de vie. S’il a de la compassion pour les pauvres, c’est un homme ; s’il s’enrichit par le commerce, c’est un chêne orgueilleux; s’il a le cœur féroce, c’est un lion ; s’il vit de rapines, c’est un loup ; s’il est dissimulé, c’est un aspic.
Mais je vous entends dire : je cherche un homme ;