Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/523

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pourquoi me montrez-vous une bête au lieu d’un homme ? Apprenez quelle est la vertu propre de l’homme, et ne vous troublez pas. Lazare gisait donc à la porte, couvert d’ulcères, exténué de faim, et les chiens venaient lécher ses plaies : plus humains que l’homme les chiens léchaient ses plaies, et les nettoyaient. Il gisait, cet infortuné ; et comme l’or déposé dans la fournaise, il acquérait un plus grand mérite. Il ne disait pas ce que disent beaucoup de pauvres : Est-ce là une providence ? Est-ce que Dieu se mêle des choses humaines ? Moi, je pratique la justice, et je suis pauvre ; et cet homme qui vit d’injustices est dans l’opulence ! Il ne se disait rien de tout cela, mais il abandonnait tout à l’incompréhensible bonté de Dieu, il purifiait son âme ; résigné dans ses souffrances, il était un modèle de patience ; son corps gisait par terre immobile, mais son esprit était dispos, et ses pensées avaient des ailes ; il enlevait le prix, il sortait vainqueur de ses maux et rendait témoignage aux biens à venir. II ne disait point : Les parasites vivent au sein de l’abondance, et moi, : l’on ne me juge pas digne de manger les miettes ! Que faisait-il donc ? il rendait grâce, il rendait gloire à Dieu. Or, il arriva qu’ils moururent l’un et l’autre : le riche mourut, et il fut enseveli. Lazare partit aussi, car je ne veux pas dire qu’il mourut. En effet, la mort du riche fut une mort réelle et une sépulture ; mais la mort du pauvre fut un départ, un passage à une vie meilleure, une course de l’arène vers le prix, de la mer vers le port, du combat vers les trophées, des sueurs vers la couronne. Ils s’en allèrent tous deux là où les choses ont de la réalité ; le spectacle cessa, les masques tombèrent.
Au théâtre, au milieu du jour, des toiles sont tendues, et beaucoup de comédiens entrent sur la scène, jouant un rôle, ayant des masques sur le visage, récitant la fable antique et racontant les événements d’autrefois. Celui-ci joue le rôle de philosophe quoiqu’il ne soit pas philosophe ; celui-là joue le rôle de roi quoiqu’il ne soit pas roi, mais il en a le costume pendant la représentation. Cet autre joue le rôle de médecin, quoiqu’il ne soit pas même un ouvrier habile à travailler le bois, mais il est revêtu des habits de médecin ; un autre joue le rôle d’esclave quoiqu’il soit de condition libre ; un autre joue le rôle de docteur, et il ne connaît pas même les lettres ; ils paraissent ce qu’ils ne sont pas et ne paraissent pas ce qu’ils sont. En effet, tel paraît médecin qui ne l’est nullement, tel paraît philosophe qui a sous son masque une chevelure bien soignée, tel paraît soldat qui n’a fait que revêtir le costume de soldat. La vue du masque trompe, mais elle ne change pas la nature en donnant une autre apparence à la réalité. Tant que les joyeux spectateurs sont sur leurs sièges, les masques sont conservés ; mais lorsque le soir est arrivé, que le spectacle a cessé, et que tout le monde s’est retiré, les masques sont déposés, et celui qui était roi sur la scène se trouve être dehors un forgeron. Les masques sont rejetés, les apparences trompeuses ont disparu, la vérité est manifestée ; celui qui sur la scène était libre est esclave au-dehors, car ainsi que je l’ai dit : au dedans les apparences trompeuses, au-dehors la réalité. Mais le soir est venu, le spectacle a cessé, la réalité se manifeste.
Il en est de même pendant la vie et à la fin de la vie : les choses présentes sont un spectacle ; les affaires humaines, les richesses, la pauvreté, la qualité de prince et de sujet, et tout le reste, sont les rôles d’une pièce de théâtre. Mais lorsque le jour de la vie présente sera passé, et que sera venue cette nuit terrible, ou plutôt ce jour, car si c’est une nuit pour les pécheurs, ce sera un jour pour les justes ; lorsque le spectacle aura cessé, lorsque les masques auront été déposés, lorsque chacun sera jugé ainsi que ses œuvres, non pas chacun et ses richesses, chacun et son autorité, chacun et sa considération, chacun et sa puissance ; mais chacun et ses œuvres : le magistrat et le roi, la femme et l’homme ; lorsqu’on nous demandera une vie honnête et de bonnes actions, et non le faste des dignités, non les abaissements de la pauvreté, le despotisme du mépris ; lorsque le Juge dira : Donne-moi des œuvres, et quand même tu serais esclave, tu vaux mieux que l’homme libre ; quand même tu serais femme, tu es plus homme que l’homme lui-même ; lorsque les masques seront déposés, c’est alors que l’on reconnaîtra le vrai riche et le vrai pauvre. Et de même qu’ici-bas, lorsque le spectacle a cessé, si quelqu’un de nous se trouvant en un lieu élevé, reconnaît dehors un forgeron qui sur la scène était philosophe, il s’écrie : Eh quoi ! cet homme n’était-il pas sur la scène un philosophe ? dehors je reconnais en lui un forgeron ; cet homme n’était-il pas sur la scène un roi ? dehors