Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/524

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je reconnais en lui un homme de rien ; cet homme n’était-il pas un riche sur la scène ? dehors je reconnais en lui un pauvre ; ainsi en sera-t-il dans l’autre vie.
6. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point, afin de ne pas fatiguer mes auditeurs par l’abondance de mes paroles ; mais je veux mettre sous vos yeux la pièce tout entière à l’aide de deux personnages. Je me suis occupé de deux acteurs, et par leur moyen je vous ai frayé la voie et montré le point de vue auquel il faut se placer pour estimer à leur juste valeur les choses de ce monde. J’ai dilaté votre intelligence en vous donnant l’explication de la vie présente, je vous ai munis d’un principe général, qui vous donnera la mesure exacte de chaque chose si vous voulez l’appliquer. Il y avait donc deux acteurs : l’un jouait le rôle de riche, l’autre le rôle de pauvre ; Lazare avait le rôle de pauvre, et le mauvais riche celui de riche. C’étaient des masques de théâtre qui paraissaient, ce n’était pas la réalité des choses. Tous deux sont partis pour l’autre vie, le riche et le pauvre ; les anges ont recueilli Lazare : après les chiens, les anges ; après la porte du riche, le sein d’Abraham ; après la faim, une abondance qui ne cessera point ; après la tribulation, une paix inaltérable. Mais pour le riche, après les richesses, la pauvreté ; après les délices de la table, le supplice et les tourments ; après le repos, d’intolérables douleurs. Considérez ce qui se passa. Ils partirent pour l’autre vie, et le spectacle cessa, et les masques tombèrent. Ils sont partis tous deux pour l’autre vie, et le riche, étendu sur des brasiers ardents, voit Lazare dans le sein d’Abraham, plein de santé, dans la jouissance et les délices, et il dit au patriarche : Père Abraham, envoyez Lazare, afin qu’il fasse égoutter le bout de son doigt sur ma langue, car je suis dévoré par les flammes. Mais que lui répond Abraham ? Mon fils, tu as reçu tes biens et Lazare ses maux, et maintenant il est consolé, et toi tu es dans les tourments. D’ailleurs un abîme a été creusé pour toujours entre nous et vous, de sorte que celui qui voudrait aller d’ici à vous ne le peut faire. (Luc. 16, 24 et suiv) Soyez attentifs, car il est utile de parler sur ce sujet qui effraye, il est vrai, mais qui purifie ; qui cause de la douleur, mais qui rend meilleur. Faites donc bon accueil à mes paroles. Comme il était dans les tourments, le riche leva les yeux et vit Lazare. Un spectacle nouveau s’offrit à sa vue. – Il gisait chaque jour à ta porte ; tu entrais et tu sortais deux et trois fois, et tu ne le regardais pas ! et maintenant que tu es dans les flammes, tu le regardes de loin ! Lorsque tu vivais dans l’opulence, lorsqu’il ne dépendait que de toi de le voir, tu ne voulais pas le regarder ! Pourquoi le cherches-tu maintenant avec des regards perçants ? Ne gisait-il pas à ta porte ? Comment ne le regardais-tu pas ? Tu ne l’as pas vu lorsqu’il était près de toi, et maintenant tu le regardes de loin et lorsqu’un abîme si profond vous sépare ! Mais que fait-il ? Il donne le nom de père à Abraham. Pourquoi appelles-tu ton père celui dont tu n’as pas imité l’hospitalité ? Il l’appelle son père, et Abraham l’appelle son fils les noms indiquent l’identité de race, et aucun secours n’est donné. Mais ces noms sont prononcés pour vous apprendre que la race ne sert de rien.
En effet, la noblesse ne consiste pas dans l’illustration des ancêtres, mais dans une conduite vertueuse. Ne me dites pas : j’ai pour père un consul. Qu’est-ce que cela me fait ? ce n’est pas là ce que je demande. Non, ne me dites pas : j’ai un consul pour père. Quand même vous auriez pour père l’apôtre saint Paul et des martyrs pour frères, si vous n’imitiez pas leur vertu, cette parenté ne vous servirait de rien ; au contraire, elle vous nuirait, et ferait votre condamnation. Ma mère, direz-vous, fait d’abondantes aumônes : A quoi cela vous sert-il à vous qui êtes inhumain ? L’humanité de votre mère ne fera qu’aggraver votre accusation de perversité. En effet, que dit saint Jean-Baptiste au peuple juif ? Faites de dignes fruits de pénitence, et ne vous contentez pas de dire : Nous avons Abraham pour père. (Luc. 3, 3) Avez-vous un illustre ancêtre ? Si vous avez marché sur ses traces, vous en retirerez quelque profit ; si vous ne l’avez pas imité, cet homme illustre sera votre accusateur, parce que, sorti d’une souche vertueuse, vous avez produit un fruit amer. N’estimez jamais heureux celui qui a un parent vertueux s’il n’imite pas sa conduite. Avez-vous une sainte mère ? Cela ne vous sert de rien. Avez-vous une mauvaise mère ? cela ne vous nuit en rien. De même que la vertu de celle-là ne vous sert de rien si vous n’imitez pas sa vertu ; de même la méchanceté de celle-ci ne vous nuit pas non plus si vous abandonnez le vice. Mais de même que dans le premier cas vous êtes plus blâmable parce qu’ayant un modèle domestique