Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 2, 1864.djvu/528

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dit-il pas : tu as eu ces choses-là, mais\it : tu as reçu tes biens, ces choses-ci, la vie présente, et Lazare ses maux ? Appliquez bien votre esprit, car j’arrive à des pensées profondes. De tous les hommes qui existent, les uns sont pécheurs, les autres sont justes. Parmi les justes, remarquez encore une différence : celui-ci est juste, celui-là est plus juste, cet autre l’est à un degré plus élevé, et un autre l’est encore davantage. Il y a un grand nombre d’étoiles, il y a le soleil, il y a la lune : il y a la même diversité parmi les justes : Car le soleil a son éclat, la lune le sien, et les étoiles le leur. (1 Cor. 15, 41) Les uns sont supérieurs, les autres sont inférieurs en éclat, et il en est des corps terrestres comme des corps célestes ; et de même que parmi les corps celui-ci est un cerf, celui-là un chien, cet autre un lion, celui-ci une autre bête sauvage, cet autre un aspic, et celui-là quelqu’autre bête de ce genre ; de même il y a des différences parmi les péchés. Parmi les hommes, les uns sont donc justes et les autres pécheurs ; mais parmi les justes il y a une grande diversité, et parmi les pécheurs elle est également grande et infinie. Mais continuez de me prêter votre attention. Quand même un homme serait juste, quand même il serait mille fois juste, et aurait atteint le plus haut degré, au point d’être exempt de péchés, il ne peut être pur de toute souillure, car quand même il serait dix mille fois juste, il est homme néanmoins, et il est écrit : Qui se glorifiera d’avoir le cœur pur, ou qui dira avec vérité qu’il est exempt de péché ? (Prov. 20, 9) C’est pour cela qu’il nous a été ordonné de dire dans la prière : Remettez-nous nos dettes (Mat. 6, 12) ; afin que l’habitude de la prière nous rappelât que nous sommes exposés à subir des peines dans l’autre vie. Aussi l’apôtre saint Paul, ce vase d’élection, le temple de Dieu, la bouche de Jésus-Christ, la lyre du Saint-Esprit, le docteur de la terre tout entière, qui avait parcouru la terre et les mers, qui avait arraché les épines du péché et répandu la semence de la religion ; cet homme plus opulent que les rois, plus puissant que les riches, plus fort que les soldats, plus sage (lue les philosophes, plus éloquent que les orateurs, qui n’avait rien et qui possédait tout, dont l’ombre délivrait de la mort, dont les vêtements chassaient les maladies, qui éleva des trophées dans la mer, qui fut ravi jusqu’au troisième ciel et entra dans le paradis, qui avait prêché hautement la divinité de Jésus-Christ, cet homme disait : Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela (1 Cor. 4, 4) ; lui qui avait acquis tant et de si grandes vertus ajoutait : Mais c’est le Seigneur qui est mon juge.
Qui donc se glorifiera d’avoir le cœur pur ? qui donc dira avec assurance qu’il est exempt de péché ? Oui, il est impossible qu’un homme soit absolument sans péché. Que dites-vous en' effet ? Il est juste, il est compatissant, il est ami des pauvres ? Oui, mais il a quelque défaut : ou bien il réprimande mal à propos, ou bien il aime la vaine gloire, ou bien il fait quelque chose de pareil, car il n’est pas besoin de tout énumérer. Celui-ci est compatissant ; mais souvent il manque de modération ; celui-là est modéré, mais il n’est pas compatissant ; celui-ci est célèbre par une vertu, celui-là par une autre. Supposons un homme juste : souvent il est vrai, il est juste, et il possède toutes les bonnes qualités, mais sa justice lui donne de l’orgueil, et l’orgueil corrompt sa justice. Le pharisien n’était-il pas juste, lui qui jeûnait deux fois la semaine ? Mais que dit-il ? Je ne suis point comme le reste des hommes qui sont voleurs, injustes. (Luc. 18, 2) Souvent, en effet, celui qui a la conscience pure, tombe dans l’orgueil et le tort que le péché ne lui a pas encore fait, l’orgueil le lui fait. Il ne se peut donc faire qu’un homme soit tellement juste qu’il soit complètement exempt de péché, comme aussi il ne se peut faire qu’un homme soit tellement mauvais qu’il n’ait pas au moins un peu de bon. Ainsi, par exemple, cet homme vole, il s’enrichit par la fraude, il fait essuyer des pertes, mais quelquefois il fait l’aumône, mais quelquefois il est modéré, mais quelquefois il dit de bonnes paroles, mais quelquefois il a prêté secours au moins à un homme, mais quelquefois il a pleuré, quelquefois il a ressenti du chagrin. Il n’y a donc pas de juste qui soit sans péché ; il n’y a donc pas de pécheur qui soit absolument dépourvu de bonnes qualités. Qui fut plus méchant qu’Achab ? Il commit le vol et le meurtre. Et cependant quand il se fut attristé, Dieu dit à Elie : As-tu vu comme Achab est pénétré de componction ? (1R. 21, 29) Vous le voyez, il se trouva quelque chose de bon dans un tel abîme de méchanceté ? Quoi de pire que le traître Judas, cet esclave de l’avarice ? Et cependant il fit lui-même après son crime quelque chose de