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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/183

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monde sera citoyen du ciel. Celui qui est étranger aux objets d’ici-bas, ne se complaira point dans le présent ; maison, argent, bonne chère, rien ne le touchera ; mais semblable à ceux qui habitent un pays étranger, dont tous les actes, toutes les pensées tendent à les faire rentrer dans leur patrie, et qui chaque jour ont hâte de revoir la terre qui les a vus naître ; ainsi celui qui est enflammé du désir des biens futurs, ne se laissera ni abattre par les adversités, ni enorgueillir par les prospérités du présent, mais il passera par-dessus tout, comme le voyageur qui fait sa route. C’est pourquoi nous devons dire dans notre prière : « Que votre règne arrive ! (Mt. 6,10 ; Lc. 11,2) », afin qu’entretenant dans notre âme la pensée et le désir ardent de cet avènement, et que l’ayant sans cesse devant les yeux, nous ne considérions plus les choses présentes. Si les Juifs, désireux de revoir Jérusalem, même après leur délivrance, pleurent encore au souvenir du passé, serons-nous pardonnables, pourrons-nous être excusés de ne pas être embrasés d’un violent amour de la Jérusalem céleste ?
3. Voyez donc comme ils se lamentent d’être obligés de vivre avec leurs ennemis : « J’ai demeuré », disent-ils, « avec les habitants de Cédar, mon âme a été longtemps étrangère. » Ils ne gémissent pas seulement d’être détenus sur la terre, de l’exil, mais encore d’habiter avec des barbares, imitant en cela l’exemple des autres prophètes qui se lamentent en ces termes sur la vie présente : « Malheur à moi, parce qu’on ne trouve plus de saints sur la terre ; il n’y a personne qui ait le cœur droit. » (Mic. 7,12) Le Psalmiste lui-même ne s’est-il pas écrié dans un autre endroit ? « Sauvez-moi, Seigneur, parce qu’il n’y a plus de saints sur la terre ! » (Ps. 11,2) C’est qu’en effet cette vie n’est pas seulement pénible parce qu’elle renferme une grande vanité et des soucis importuns, mais encore à cause du grand nombre des méchants. Car il n’y a rien de plus fâcheux pour les gens de bien que d’être obligés de vivre avec des hommes pervers. La fumée et la vapeur fatiguent moins les yeux que le commerce des méchants n’attriste l’âme. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même prend soin de nous montrer combien de pareils rapports sont à charge. En effet, quand il s’écrie : « Jusqu’à quand serai-je avec vous ? Jusqu’à quand vous supporterai-je ? » N’est-ce pas dire en termes moins clairs : « J’ai demeuré avec les habitants de Cédar ? » Ces peuples barbares ont pour habitude de traiter leurs inférieurs avec la cruauté des bêtes sauvages, en sorte qu’ils vivent sous des tentes et qu’ils sont réduits à la férocité de ces animaux. Mais plus terribles encore sont ces ravisseurs cupides qui passent leur vie dans les débauches, dans le luxe et les plaisirs de toutes sortes. – « Mon âme a été longtemps en exil (6). »
Pourtant il semble que non, car cet exil ne fut que de soixante-dix ans. Mais le Psalmiste a moins en vue le nombre des années que les peines qu’il avait endurées, car quelque court que soit le temps d’une affliction, il paraît fort long à ceux qui souffrent. Tels doivent être nos propres sentiments, et quoique nous vivions peu d’années sur cette terre, elles doivent nous paraître nombreuses à cause du désir des biens célestes. Et en parlant de la sorte, je ne veux point accuser la vie présente ; loin de moi une telle pensée, car cette vie est l’œuvre de Dieu, mais je voudrais faire naître en vous le désir des biens futurs et y détruire toute complaisance dans la possession des objets présents et tout attachement à votre corps, comme aussi vous empêcher de ressembler à ces âmes vulgaires qui, après une longue vie, se plaignent de n’avoir eu que peu d’années sur cette terre. Quoi de plus insensé ! Quelle n’est pas la stupidité de ces hommes à qui on offre le ciel avec tous ses biens que l’œil n’a point vus, que l’oreille n’a point entendus (1Cor. 11,9), et qui soupirent après des ombres, et qui veulent traverser le fleuve de cette vie, trouvant leur plaisir à rester continuellement au milieu des flots, des tempêtes et des naufrages. Il n’en était pas ainsi de saint Paul. Niais il avait hâte d’avancer, et il n’y avait qu’une chose qui pût le retenir, le salut de ses frères. « Je gardais un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix ; dès que je leur parlais, ils s’élevaient contre moi (7). »
C’est ainsi que le Prophète nous montre combien il est pénible de demeurer dans cette vie. Il n’a pas dit : « Avec ceux qui n’ont pas la paix », mais, « avec ceux qui haïssent la paix, j’étais pacifique. » Voilà l’avantage de l’affliction, voilà le fruit de la captivité. Qui de nous pourrait maintenant en dire autant ? Nous trouvons que c’est déjà beaucoup d’être pacifique avec les pacifiques, tandis que le Prophète