Page:Cicéron, Démosthène - Catilinaires, Philippiques, traduction Olivet, 1812.djvu/173

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d’ennemis que je me suis attirés. Je les crois méprisables au dernier point ; cependant, s’il arrive qu’un jour ils l’emportent sur votre autorité et sur celle de la République, je n’aurai point de regret d’avoir pensé et agi comme j’ai fait. Ils me menacent peut-être de la mort : mais la mort est pour tous les hommes ; au lieu que personne n’avoit reçu, au même titre que moi, les honneurs dont j’ai été comblé par vos décrets. Si d’autres en reçurent de semblables, c’est pour avoir bien servi la République : mais moi, c’est pour l’avoir sauvée.

21. Qu’on[1] célèbre Scipion, celui qui par sa prudence et par sa valeur contraignit Annibal de retourner en Afrique, et d’abandonner l’Italie : qu’on accable de louanges cet autre Scipion, qui a détruit Carthage et Numance, deux cruelles ennemies de Rome : qu’on exalte la gloire[2] de Paulus ; dont Persée, grand et puissant Roi, ho-

  1. Voilà ce que Cicéron a répété mille fois ; et il y a des gens qui voudroient en conclure qu’il étoit bouffi d’orgueil. Apparemment ils ne connoisent pas l’opuscule de Plutarque, dont Amiot rend ainsi le titre : Comment on se peut louer soi-même sans encourir envie, ni répréhension. Je renvoie à la courte analyse que Madame Dacier en a faite dans ses Causes de la corruption du Goût. Vous y verrez dans quelles occasions il est permis, ou plutôt ordonné aux Hommes d’État mais sur-tout dans une République, d’exalter leur sage conduite et leur glorieux succès. On y cite l’exemple de Périclès, d’Epaminondas, de Scipion, de Thémistocle, de Phocion, etc. Si la théorie de Plutarque est puisée dans le bon sens, il est clair que Cicéron s’est fréquemment vu dans la nécessité de la réduire en pratique : et puisqu’alors, il n’a rappelé ses louanges, ni hors de propos, ni sans fondement ; il est donc inattaquable en qualité d’homme d’État.

    Mais en qualité d’homme de lettres, seroit-il tombé dans les pièges de la vanité ? Quand il parle de ses talens, ou de ses écrits, c’est toujours d’un ton sage et modeste. Orateur, Philosophe, Poète et bel-esprit, orné de tout ce que les Arts et les Sciences avoient produit jusqu’à son temps, il paroît n’avoir connu aucune de ces misérables petitesses, si familières à la plupart de ceux qui se croient quelque chose de ce qu’il étoit. Tout respire chez lui cette vértié : Que plus un homme aura de connoissance, moins il sera plein de lui-même, parce que ses yeux intérieurs, en lui faisant voir ce qu’il possède, lui feront voir aussi, et bien mieux encore, ce qui lui manque.

  2. Paul Émile, surnommé le Macédonique, pour avoir vaincu Persée, Roi de Macédoine, et fait de son royaume une Province de l’Empire Romain.