Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/201

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ce qu’il prétend être la force d’âme, une aveugle témérité de gladiateur.

IV. On entend par louable, ce qui assure au moment même et dans la suite, un honorable souvenir. Si je le distingue de ce qui est bien, ce n’est pas que les quatre parties, comprises sous le nom de bien, ne puissent contenir l’idée de ce qui est honorable ; mais quoique la gloire ait sa source dans le bien, toutefois il faut l’en séparer dans le discours. Il ne doit pas suffire, en effet, de pratiquer le bien par ambition, pour la gloire ; mais si l’on peut se la promettre, le désir de faire le bien en acquiert une double force. Quand donc nous aurons fait voir qu’une chose est bien, nous démontrerons qu’elle est louable, soit par l’opinion des juges compétents, si les hommes du rang le plus distingué l’approuvent, tandis que ceux de la classe inférieure la blâment, soit par les suffrages qu’elle aura mérités de quelques-uns de nos alliés, de tous les citoyens, des nations étrangères et de la postérité.

Telle est la division des lieux communs applicables au genre délibératif ; je vais indiquer en peu de mots l’ordre dans lequel il faut traiter la question tout entière. On peut débuter ou par l’exorde simple, ou par l’insinuation, comme dans le genre judiciaire. Si l’on a quelque fait à raconter, il faudra suivre les règles que j’ai tracées à cet égard. Comme dans ces sortes de causes on a pour but l’utilité, qui se divise en deux espèces : la sûreté et l’honnêteté ; si l’on peut les réunir toutes deux, on promettra d’en donner la preuve dans la suite du discours ; si l’on ne veut développer que l’une d’elles, on l’annoncera simplement. Si l’on dit que le fait intéresse la sûreté, on emploiera la division précédente, de la force et de la sagesse. Car ce que nous avons appelé ruse, pour rendre nos préceptes plus clairs, nous l’appellerons dans le discours du nom plus honorable de sagesse. Si nous nous fondons sur le bien, et si nous avons recours aux quatre parties qui la constituent, notre division aura également quatre parties ; si nous ne parlons que de quelques-unes, notre division n’ira pas au delà. Pour la confirmation et la réfutation, il faudra mettre en usage les lieux que nous avons indiqués déjà, soit pour fortifier nos arguments, soit pour renverser ceux qu’on nous oppose. On cherchera dans le second livre les moyens d’argumentation que l’art peut offrir.

V. Mais s’il arrive que, dans une délibération, l’un cherche ses motifs dans la sûreté, et l’autre dans l’honnêteté, comme dans l’exemple de l’armée qui, cernée par les Carthaginois, délibère sur le parti qu’elle doit prendre ; l’orateur qui conseillera de s’attacher à la sûreté, emploiera les lieux suivants : Nul parti n’est plus utile que celui de sa conservation : personne ne peut faire usage de sa vertu, s’il n’a pourvu à sa sécurité ; les dieux eux-mêmes ne sauraient secourir celui qui s’expose témérairement au danger ; il ne faut rien estimer honorable, de ce qui ne peut assurer le salut. Celui qui voudra mettre, au contraire,’l’honnêteté avant la sûreté, dira que dans aucune circonstance il ne faut renoncer à la vertu ; qu’eût-on même à redouter la douleur ou la mort, elles sont plus supportables que le déshonneur et l’infamie. Considérez, dira-t-il, quelle honte vous allez encourir, et que cette honte ne peut vous assurer l’immortalité ni vous sauver pour