Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/296

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mettre au lit. Cependant le voyageur, dont l’épée avait servi à commettre le crime, s’éveille longtemps avant le jour, et appelle à plusieurs reprises son compagnon de voyage. Comme il ne répondait point, il le croit endormi, prend son épée, son bagage, et se met seul en route. Bientôt l’aubergiste s’écrie qu’on a assassiné un homme, et poursuit avec quelques-uns de ses hôtes le voyageur qui venait de partir à l’instant même. Il l’atteint, l’arrête, tire son épée du fourreau, et la trouve ensanglantée. On ramène à la ville celui qu’on croit l’assassin, on le met en jugement. » Vous avez tué, dit l’accusateur. Je n’ai pas tué, répond le défendeur. De là naît la question. Le point de discussion, comme le point à juger, a-t-il tué ? appartient au genre conjectural, c’est-à-dire à la question de fait.

V. Nous allons maintenant traiter des lieux dont toute question conjecturale peut offrir quelques-uns, et nous ferons ici une remarque générale ; c’est que tous ne se rencontrent pas dans toutes les causes. Pour écrire un mot, on n’emploie que quelques lettres, et non pas l’alphabet entier. Ainsi, dans une cause, on ne se sert pas de toutes les espèces de raisonnements, mais de ceux-là seuls qui sont nécessaires. Toute conjecture doit se tirer du motif, de la personne, ou du fait même.

Dans le motif, on distingue la passion et la préméditation. La passion est une affection violente de l’âme, qui nous pousse à une action sans nous laisser le temps de réfléchir, comme l’amour, la colère, la douleur, l’ivresse, et en général tout ce qui peut ôter à l’âme le sang-froid et l’attention nécessaires pour examiner les choses, tout ce qui peut nous faire agir par emportement plutôt que par réflexion. La préméditation est un mûr examen des raisons qui peuvent nous engager à agir ou nous en détourner. On est en droit de soutenir qu’elle nous a guidés, quand notre con-, duite semble dirigée par des motifs certains, comme par l’amitié, la vengeance, la crainte, la gloire, l’intérêt, en un mot, pour embrasser tout à la fois, par toutes les choses qui peuvent conserver, augmenter les avantages dont nous jouissons, nous en procurer de nouveaux, ou au contraire éloigner, affaiblir ou éviter tout ce qui serait capable de nous nuire. En effet, soit que l’on ait souffert ’volontairement quelque dom-age pour se garantir d’un plus grand mal, ou se procurer un avantage plus grand, soit que le même motif nous fasse renoncer à quelque avantage, on retombe toujours dans l’un de ces deux genres.

Tel est le lieu qui sert comme de fondement à ce genre de cause ; car on ne prouve jamais un fait sans montrer les motifs qui l’ont amené. L’accusateur prétend-il que c’est la passion qui nous a fait agir, qu’il s’attache à développer par des pensées et des expressions énergiques toute la violence et l’activité de la passion qui nous a emportés ; qu’il prouve quelle est la puissance de l’amour, quel trouble porte dans l’âme la colère ou le sentiment qu’il dit avoir poussé l’accusé ; enfin, que des exemples et des comparaisons, que le développement de la passion elle-même, prouvent qu’il n’est point étonnant que l’âme,