Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/325

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sa conduite, le souffririez-vous ? N’est-il pas mille fois plus indigne et plus impudent d’enfreindre la loi, que d’y ajouter ? Supposons que vous-mêmes, juges, vous vouliez le faire, le peuple le souffrira-t-il ? Et n’est-il pas plus indigne de changer une loi par le fait même et par votre jugement, que d’en altérer le texte et les expressions ? Quelle indignité de déroger à la loi, de l’abroger, ou d’y faire le plus léger changement, sans que le peuple puisse en prendre connaissance, l’approuver ou le rejeter ! Cette innovation ne sera-t-elle pas dangereuse pour les juges ? Ce n’est ni le temps ni le lieu de corriger les lois ; c’est devant le peuple, c’est par le peuple qu’elles doivent être modifiées. Si l’on fait ce changement, dites que vous voulez savoir quel législateur s’en chargera, quels citoyens l’approuveront ; dites que vous prévoyez les suites de cette innovation, et que vous vous y opposez. Quand même les dispositions de la loi actuelle seraient aussi honteuses que funestes, les juges n’en doivent pas moins observer cette loi, quel qu’en soit le caractère. S’ils y trouvent quelque chose à reprendre, c’est au peuple à la corriger. Enfin, si nous n’avions point ce texte, cet écrit, nous mettrions tous nos soins à le découvrir ; et nous n’en croirions pas l’adversaire sur sa parole, ne fût-il pas accusé. Maintenant que nous l’avons, quelle folie d’en croire plutôt le coupable que les paroles mêmes de la loi ! C’est par ces raisons, et par d’autres semblables, qu’on prouve qu’il ne faut point admettre d’exceptions qui ne se trouvent pas dans la loi.

XLVI. Dans la seconde partie, vous avez à montrer que. quand même les autres lois seraient susceptibles d’exceptions, celle-ci ne saurait en admettre. Prouvez, pour y parvenir, que cette loi embrasse les objets les plus utiles, les plus importants, les plus nobles et les plus sacrés ; qu’il serait honteux, funeste ou sacrilège de ne pas observer scrupuleusement la loi dans une semblable affaire, ou que la loi est si exacte, a si bien prévu tous les cas et toutes les exceptions possibles, qu’il est ridicule de supposer qu’on ait omis quelque chose dans une loi rédigée avec tant de soin.

Enfin, celui qui défend la lettre, a pour troisième lieu commun, et c’est le plus important, que s’il convient quelquefois d’admettre des raisons qui combattent le texte, il ne faut pas du moins s’arrêter à celle que son adversaire propose. Ce point est d’autant plus essentiel, que toujours celui qui attaque la lettre doit avoir pour lui les apparences de la justice. Ne serait-ce pas le comble de l’impudence que d’attaquer un texte sans s’appuyer sur l’équité ? Si donc l’accusateur parvient à jeter des doutes sur ce point à l’égard de l’accusé, l’accusation paraîtra bien plus juste et bien mieux fondée ; car tout ce qui précède ne tendait qu’à mettre les juges dans la nécessité de se prononcer, même malgré eux, contre l’adversaire : ici il faut leur en inspirer le désir, même quand ils n’y seraient pas forcés. Vous y réussirez si, puisant aux mêmes lieux que l’adversaire a mis en œuvre pour sa justification, l’alternative, le recours, la récrimination ou la concession (lieux que j’ai développés plus haut avec tout le soin dont j’étais capable), vous employez, à l’aide de ces mêmes lieux communs, les moyens que vous fournit votre cause pour réfuter l’accusé ; si