Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/518

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tus est le premier événement qui m’ait causé quelque joie, ou qui ait apporté du moins quelque adoucissement à mes peines. — J’ai voulu, en effet, vous consoler, dit Brutus, et j’éprouve une vive satisfaction d’avoir réussi dans un si grand dessein. Mais je voudrais savoir quelle lettre d’Atticus vous a aussi causé tant de plaisir — Oui, repris-je, elle m’a causé du plaisir ; elle m’a même, je l’espère, rendu la vie. — La vie ! dit Brutus ; de quelle nature est donc ce précieux message ? — Ce message, répondis-je, est un livre qui m’a tiré de l’anéantissement où j’étais plongé. Était-il possible de m’adresser un témoignage d’amitié qui me fût plus doux, et qui vint plus à propos ? — Vous parlez sans doute, dit-il, de cet ouvrage où Atticus a renfermé en abrégé, et, comme il m’a paru, avec beaucoup d’exactitude, l’histoire de tous les siècles. — Oui, Brutus, c’est précisément ce livre qui m’a rendu la vie.

IV. Alors Atticus : Vous ne pouvez rien me dire de plus agréable ; mais qu’y a-t-il enfin dans cet ouvrage qui soit nouveau pour vous, ou qui puisse vous être si utile ? — Du nouveau, répondis-je, il y en a beaucoup ; quant à l’utilité, j’y ai trouvé celle que je désirais, de voir l’ordre des temps développé à mes regards, et de pouvoir d’un coup d’œil embrasser tout ce tableau. Pendant que je le parcourais avec curiosité, la vue même de l’ouvrage m’a été salutaire ; elle m’a fait songer, Atticus, à tirer de notre liaison un nouveau moyen de ranimer mon courage en vous adressant à mon tour un présent, qui, sans valoir le vôtre, attestât au moins ma reconnaissance. Les savants citent avec éloge la maxime d’Hésiode, qui recommande de rendre mesure pour mesure, et même plus, si on le peut. Pour la bonne volonté, je vous promets la mesure tout entière ; mais pour la dette elle-même, je ne crois pas qu’il me soit possible de l’acquitter encore, et je vous prie de me le pardonner. Je ne puis, comme les laboureurs, vous rendre ce que j’ai reçu de vous, ni en fruits nouveaux : je suis frappé d’une stérilité absolue, et une malheureuse sécheresse a tari les sources de ma fécondité ; ni en anciennes productions : celles-ci, cachées à la lumière, ne sont plus accessibles même pour moi, et jamais elles ne l’ont guère été que pour moi seul. Je sèmerai donc comme sur une terre inculte et abandonnée, et je tâcherai de la cultiver avec assez de soin pour vous payer jusqu’aux intérêts de votre don généreux, si toutefois il peut en être de mon esprit comme d’un champ, qui, après un repos de plusieurs années, donne une moisson plus abondante.

— J’attendrai ce que vous me promettez, reprit Atticus ; mais je n’exigerai qu’à votre commodité le payement de cette dette, et je serai charmé si vous vous acquittez. — Et moi aussi, dit Brutus, il faudra bien que j’attende ce que vous faites espérer à Atticus. Peut-être cependant me verrez-vous mandataire officieux, réclamer pour votre créancier ce qu’il déclare ne vouloir exiger de vous qu’à votre loisir.

V. — C’est fort bien, Brutus, dis-je à mon tour ; mais je ne payerai entre vos mains qu’après que vous m’aurez garanti qu’aucun demandeur compétent ne viendra plus rien me demander au même titre. — Je n’oserais en vérité, repartit Brutus, vous donner une pareille garantie ; car je vois déjà ce créancier si facile, prêt à devenir, sinon importun, du moins vif et pressant. — Je