Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/520

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toire n’en a pas fait un seul. Au reste, asseyons-nous, si vous le voulez bien, pour suivre plus commodément notre conversation.

Ils y consentirent, et nous nous assîmes sur un tapis de verdure auprès de la statue de Platon.

Alors je leur dis : Il n’entre point dans mon plan, et il n’est point nécessaire de faire ici l’éloge de l’éloquence, ni de retracer les grands effets qu’elle produit, et l’éclat qu’elle répand sur ceux qui la possèdent. Ce que je puis affirmer sans crainte d’être contredit, c’est qu’à la considérer, ou comme un art, ou comme un fruit de l’exercice, ou comme un don de la nature, il n’est rien au monde qui soit plus difficile. Des cinq parties dont elle est composée, chacune est déjà par elle-même un grand art : or, on doit juger de la grandeur et de la difficulté d’une œuvre où toutes les cinq doivent concourir à la fois.

VII. J’en ai pour preuve la Grèce. Elle est passionnée pour l’éloquence, et elle la cultive depuis longtemps avec un succès qu’on n’égale point ailleurs ; cependant les autres arts y sont encore plus anciens. Les Grecs les ont inventés, perfectionnés même, bien longtemps avant d’avoir tourné leurs efforts vers ce bel art de la parole. Quand je porte mes regards sur ce pays, Atticus, votre chère Athènes se présente d’abord et brille à mes yeux. C’est là que s’est élevé le premier orateur ; c’est là que le premier discours, conservé par l’écriture, a été transmis à la postérité. Avant Périclès dont on cite quelques écrits, et Thucydide qui, comme lui, vivait dans un temps où Athènes était déjà bien loin de son berceau, on ne trouve rien qui soit embelli des ornements de l’éloquence. On croit néanmoins que, longtemps auparavant, Pisistrate, Solon, un peu plus ancien que Pisistrate, et Clisthène, avaient pour leur siècle un grand talent oratoire. Quelques années plus tard, comme on peut le voir par l’histoire d’Athènes, parut Thémistocle, aussi grand orateur qu’habile politique. Après lui Périclès, renommé par tant d’autres qualités, le fut surtout par son éloquence. On convient aussi que dans le même temps, Cléon, citoyen factieux, n’en fut pas moins un orateur distingué. Presque à la même époque se présentent Alcibiade, Critias, Théramène. C’est surtout par les écrits de Thucydide, leur contemporain, qu’on peut juger quel goût régnait alors. Leur style était noble, sentencieux, plein dans sa précision, et par sa précision même un peu obscur.

VIII. Dès que l’on eut compris tout l’effet d’un discours composé avec soin, et qui fût en quelque sorte un ouvrage régulier, alors s’élevèrent tout à coup une foule de professeurs dans l’art de parler. Gorgias le Léontin, Thrasymaque de Chalcédoine, Protagoras d’Abdère, Prodicus de Céos, Hippias d’Élis, acquirent une grande réputation. Beaucoup d’autres, à la même époque, se vantaient, avec une présomptueuse arrogance, d’enseigner comment la cause la plus faible (c’est ainsi qu’ils s’exprimaient) pouvait, à l’aide de la parole, devenir la plus forte. Socrate se prononça contre eux, et réfuta leurs systèmes avec une dialectique flue et ingénieuse : ses doctes entretiens formèrent une foule de savants hommes ; et c’est alors que fut trouvée la philosophie, non celle qui explique les secrets de la nature (elle est plus ancienne), mais celle qui traite du bien et