Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/521

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du mal, et qui donne des principes de morale et de conduite. Comme cette science n’entre point dans le plan que nous nous sommes tracé, renvoyons les philosophes à un autre temps, et revenons aux orateurs dont nous nous sommes écartés.

Tous ceux dont je viens de parler étaient déjà dans la vieillesse, lorsque parut Isocrate, dont la maison fut en quelque sorte une école publique d’éloquence, et un gymnase ouvert à toute la Grèce ; Isocrate, grand orateur, maître accompli, et qui, sans produire son talent au grand jour du barreau, acquit, dans la retraite du cabinet, une gloire où nul autre, selon moi, n’est parvenu depuis. Il composa lui-même beaucoup de brillants écrits, et il enseigna aux autres l’art d’écrire. Supérieur en tout le reste à ses prédécesseurs, il comprit encore le premier qu’il est un nombre et une mesure qu’on doit observer même dans la prose, sans toutefois y faire entrer (les vers. Avant lui on ne connaissait point l’art d’arranger les mots et de terminer harmonieusement les périodes. Quand on rencontrait cette harmonie, on ne paraissait point l’avoir cherchée à dessein ; et c’est peut-être un mérite. Quoi qu’il en soit, c’était la nature et le hasard, plutôt que la méthode et l’observation, qui alors y conduisaient quelquefois ; car la nature elle-même enferme la pensée en un contour de paroles qui la comprend tout entière ; et quand ce cercle est rempli d’expressions heureusement enchaînées, on arrive presque toujours à une cadence nombreuse. L’oreille juge d’elle-même si la phrase est pleine, ou si quelque vide en rompt la mesure ; et la fin des périodes est nécessairement indiquée par les intervalles de la respiration, qui ne peut ni manquer ni même être gênée sans produire l’effet le plus choquant.

IX. Dans le même temps vécut Lysias, qui ne parut pas non plus au barreau, mais qui écrivait avec une délicatesse et une élégance parfaites dans le genre simple ; on oserait presque l’appeler un orateur accompli : car un orateur accompli de tout point, et auquel il ne manque absolument rien, c’est sans contredit Démosthène. Dans les causes qu’il a plaidées, il n’est pas une subtilité, une finesse, une ruse oratoire, que son génie ne lui ait révélée ; rien de plus délicat, de plus serré, de plus lumineux, de plus châtié que son style ; rien en même temps de plus grand, de plus véhément, de plus orné, de plus sublime, soit par la noblesse de l’expression, soit par la majesté des pensées. Ceux qui approchent le plus de Démosthène, sont Hypéride, Eschine, Dinarque, Démade (dont il ne reste rien), et plusieurs autres ; car telle fut la fécondité de ce grand siècle ; et c’est à mon avis jusqu’à cette génération d’orateurs que se conserva tout entière cette sévie et cette pureté de sang, qui donnait à l’éloquence un coloris naturel, et une beauté sans fard. En effet, tous ces orateurs étaient vieux, quand Démétrius de Phalère, encore jeune, leur succéda ; Démétrius, le plus savant de tous, mais qui, moins exercé au maniement des armes qu’aux jeux de la palestre, charmait les Athéniens plutôt qu’il ne les enflammait. Aussi était-ce de l’école