Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la rhétorique. Ainsi, puisqu’il vous convient que tout soit pareil dans Thémistocle et dans Coriolan, recevez aussi la coupe de mes mains ; je fournirai même la victime, afin que Coriolan soit de tout point un autre Thémistocle. — Eh bien ! répondis-je, qu’il en soit de Coriolan comme vous l’entendrez. Je serai désormais plus circonspect en parlant d’histoire devant vous ; c’est un hommage que je dois au plus exact des historiens de notre république : mais revenons aux Grecs.

Périclès fut le premier qui appela la science à son aide. Ce n’est pas qu’il y eût alors une science de bien dire ; mais, disciple du physicien Anaxagore, il porta dans les discussions de la tribune et du barreau toutes les ressources d’un esprit exercé par les études les plus abstraites et les plus profondes. Athènes aima la douceur de son langage ; elle admira sa richesse et son abondance ; elle redouta sa force, et trembla devant lui.

XII. Le siècle de Périclès fut donc le premier âge de l’éloquence athénienne, et il produisit un orateur presque accompli. Ce n’est point, en effet, quand on fonde les États, ni quand on fait la guerre, ni quand le génie est entravé et enchaîné par la domination d’un roi, que peut naître le goût de l’éloquence. Compagne de la paix, amie du repos, elle est le fruit d’une société déjà régulièrement constituée. Aussi ce ne fut, suivant Aristote, qu’après l’abolition de la tyrannie en Sicile, et lorsque les tribunaux, fermés depuis longtemps, se rouvrirent pour juger les différends entre particuliers, que Corax et Tisias commencèrent à donner des leçons de rhétorique chez ce peuple naturellement subtil et disputeur. Avant eux on ne connaissait ni art ni méthode ; et cependant on parlait avec soin, et la plupart écrivaient leurs discours. Aristote ajoute que Protagoras composa sur les questions générales les plus remarquables, des traités qu’on appelle aujourd’hui lieux communs. A son exemple, Gorgias écrivit sur différents sujets des morceaux consacrés à l’éloge ou au blâme : car selon lui le plus beau privilège de l’orateur était de pouvoir, en louant ou en blâment, élever et abaisser tour à tour une même chose. Antiphon de Rhamnonte avait aussi composé des écrits de ce genre. Nul ne plaida jamais une cause capitale mieux que ne fit cet orateur dans une affaire où il se défendait lui-même : c’est un témoignage que lui rend Thucydide, auteur digne de foi et qui l’avait entendu. Quant à Lysias, il fit d’abord profession de dire qu’il y avait un art de parler. Ensuite, voyant que Théodore de Byzance donnait des préceptes très ingénieux, et faisait des discours très secs, il se mit à écrire des discours pour les autres, et nia l’existence de l’art. Isocrate la niait aussi d’abord, et composait des plaidoyers pour ceux qui en avaient besoin ; mais appelé lui-même plusieurs fois en justice pour avoir enfreint la loi qui défendait d’employer aucun artifice devant les tribunaux, il cessa d’écrire pour le barreau, et ne pensa plus qu’à donner des préceptes et des règles.

XIII. Vous voyez les sources de l’éloquence dans la Grèce, et vous assistez, pour ainsi dire, à la naissance des orateurs : naissance déjà ancienne par rapport à notre chronologie, vraiment récente, si l’on en juge par celle des Grecs, car