Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/712

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plus tempérant que le tempérant, plus courageux que l’homme de cœur, plus sage que le sage. Appellerez-vous honnête homme celui qui, pouvant retenir impunément dix livres d’or qu’on lui a confiées sans témoins, les rendra et en retiendra dix mille une autre fois ? Appellerez-vous tempérant celui qui réprime une passion, et lâche la bride à une autre ? Il n’est qu’une vertu, l’obéissance à la raison, inébranlable et perpétuelle. On ne peut rien y ajouter qui l’accroisse, rien en retrancher sans la détruire. Si les bonnes actions sont morales, et si rien n’est plus moral qu’une action morale, on doit déclarer aussi que rien n’est meilleur que le bien. Il en résulte donc que les vices aussi sont tous égaux, s’il est juste d’appeler vices les difformités de l’âme. Or, puisque les vertus sont égales entre elles, les bonnes actions, qui viennent des vertus, doivent être égales ; et les mauvaises, qui viennent des vices, ne doivent pas l’être moins.

II. Ce sont là, dites-vous, des maximes empruntées aux philosophes. — Vous n’y reconnaissez pas celles des mauvais lieux ? J’aurais pu le craindre.— C’est ainsi que raisonnait Socrate. — J’en suis charmé, car il a la réputation d’un homme fort docte et très sage. Mais, je vous le demande, car enfin ce ne sont pas les poings qui doivent jouer dans notre querelle, est-ce des sentiments des portefaix et des manœuvres que nous devons nous mettre en peine, ou bien de ceux des sages ? quand nous observons surtout que cette opinion est non seulement la plus vraie du monde, mais encore la plus salutaire dans la pratique de la vie. Quelle puissance arrêtera plus vivement les hommes sur le seuil du mal que cette conviction qu’il n’y a aucune différence entre les fautes ? qu’il y a autant de crime à mettre la main sur un simple citoyen que sur un magistrat ? que porter le déshonneur dans la plus humble des familles, c’est se couvrir du dernier opprobre ? Quoi ! dira-t-on, tuer son père ou son esclave, c’est le même crime ? — Si vous présentez la question dans ces termes généraux, nous ne pourrons en bien juger. Si ôter la vie à son père est en soi un crime, les Sagontins, qui aimèrent mieux pour leurs pères la mort dans la liberté que la vie dans la servitude, furent des parricides. Ainsi donc on peut quelquefois sans crime ôter la vie à son père, et souvent on ne le peut à son esclave. C’est dans le motif de l’acte et non dans l’acte même qu’il faut chercher des distinctions : le motif fait pencher la balance du côté où il se porte ; lorsqu’il se trouve également des deux côtés, il les rend nécessairement égaux. Mais voici, en tout cas, la différence : lorsque vous mettez injustement votre esclave à mort, vous ne commettez qu’un crime ; lorsque vous tuez votre père, vous en commettez plusieurs. Vous tuez celui qui vous a engendré, celui qui vous a nourri, celui qui vous a élevé, celui qui vous a donné un état, une famille, un rang dans la république. Dans ce seul crime il y en a donc une foule ; c’est pourquoi il mérite un plus terrible châtiment. Mais dans notre conduite, ce que nous devons considérer, ce n’est pas quelle peine mérite chaque faute, mais quelles actions nous sont permises : tout ce qu’il ne faut point faire est une faute ; tout ce que la loi défend est un crime : telles doivent être nos maximes. — Quoi ! dans les plus petites choses ? — Vraiment oui : car disposer du cours des événements, nous ne le pouvons ;