Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/291

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que la lumière du soleil emploie à franchir les espaces des cieux ?

Mais voici une expérience qui te montrera avec quelle vitesse se meuvent les simulacres : expose à l’air une onde transparente, au mure instant, si le ciel est parsemé d’étoiles, les flambeaux éclatants du monde viennent se peindre dans l’eau. Tu vois donc combien peu de temps il faut à l’image pour se rendre des extrémités du monde à la surface de notre globe.

Ainsi, je Le répète, il faut reconnaitre que des émanations des simulacres frappent nos yeux et produisent en nous la sensation de la vue. Les odeurs ne sont que les émissions continuelles de certains corps ; le froid émane des fluides, la chaleur du soleil ; de la mer émane le sel rongeur, qui mine les édifices construits sur ses rivages. Mille sons de toute espèce volent sans cesse dans l’air : quand nous nous promenons sur les bords de l’Océan, nos palais sont affectés d’une vapeur saline, et nous ne regardons jamais préparer l’absinthe sans en ressentir l’amertume. Tant il est vrai que tous les corps envoient continuellement des émanations de toute espèce, qui se portent de tous côtés sans jamais s’arrêter ni se tarir, puisqu’à chaque instant nous avons des sensations, puisqu’il nous est toujours possible de voir, d’odorer et d’entendre.

XXXIX
LA CAUSE DE NOS ERREURS N’EST PAS DANS LES SENS, MAIS DANS LE JUGEMENT.

Si les tours carrées des villes semblent rondes de loin, c’est que tout angle paraît obtus dans l’éloignement, ou plutôt on ne le voit pas : son action s’éteint, et lorsque l’angle ainsi usé est devenu insensible, on ne distingue plus qu’un amas cliyndrique de pierres, non pas précisément comme les corps vraiment ronds que nous avons sous les yeux, mais avec une forme plus confuse et moins parfaite.

On croirait aussi que notre ombre se meut au soleil, s’attache à nos traces, imite nos gestes, si l’on pouvait se persuader qu’un air privé de lumière (car l’ombre n’est rien