Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/292

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autre chose) ait la faculté de marcher et d’exprimer les mouvements humains. C’est que la terre étant tour à tour privée ou frappée de la lumière du soleil, selon que nos corps, en marchant, ferment ou laissent un passage aux rayons, il nous semble que c’est la même ombre qui n’a cessé de nous suivre. Et la lumière n’étant qu’une succession de rayons qui meurent et renaissent sans interruption, comme de la laine qu’on déviderait dans le feu, il est aisé de concevoir comment la terre est sans cesse dépouillée et revêtue alternativement de lumière.

Nous ne convenons pas pour cela que les yeux se trompent. Leur fonction est de voir de l’ombre et de la lumière où il y en a. Mais cette lumière est-elle toujours la même, ou non ? Est-ce la même ombre qui passe d’un lieu à un autre, ou la chose arrive-t-elle comme nous venons de l’expliquer ? C’est à la raison à décider : les yeux sont incapables de connaître la nature des corps ; ne leur imputons donc pas les erreurs de l’esprit.

Le navire qui nous emporte vogue en paraissant immobile ; le navire immobile dans la rade paraît emporté par le courant ; les collines et les campagnes le long desquelles le vent enfle nos voiles semblent fuir vers la poupe. Les astres paraissent tous attachés et immobiles à la voûte céleste ; cependant ils sont sans cesse en mouvement : ils ne se lèvent que pour aller trouver un coucher lointain, après avoir promené leurs feux éclatants dans toute l’enceinte du ciel. Le soleil et la lune paraissent de même stationnaires, quoique la raison nous apprenne que ces deux astres sont en mouvement. Une chaîne de montagnes élevées au-dessus de la mer, entre lesquelles des flottes entières trouveraient un libre passage, ne nous paraît de loin qu’une même masse, et, quoique très-distantes l’une de l’autre, elles se réunissent à l’œil sous l’aspect d’une grande île. Les enfants, en cessant de tourner sur eux-mêmes, sont tellement persuadés que l’appartement se meut en rond et que les colonnes tournent autour d’eux, qu’à peine peuvent-ils se défendre de craindre que le toit ne les écrase de sa chute. Quand la nature commence à élever au-dessus des montagnes les feux tremblants du soleil, ces monts sur la cime desquels son disque paraît se reposer et qu’il semble toucher immédiatement de ses feux, ne sont éloignés de nous que de deux mille ou même de