Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/191

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jusqu’aux os, avec joie, pour le faire vivre. Jugez alors si je pouvais admettre l’idée de lui être à charge. Et ce désintéressement de ma part était si peu affecté, il partait si directement de mon cœur, que Charles ne pouvait manquer de s’en apercevoir ; s’il ne m’aimait pas autant que je l’aimais (ce qui était le constant et unique sujet de nos tendres discussions), il s’arrangeait, tout au moins, pour me donner la satisfaction de croire que nul homme au monde ne pouvait être plus aimant, plus sincère, plus fidèle qu’il ne l’était.

Comme je ne sortais jamais sans mon amant et que je restais le plus souvent au logis, la Jones me faisait de fréquentes visites. La pénétrante commère ne fut pas longtemps à découvrir que nous avions frustré l’Église de ses droits, ce qui ne lui déplut pas, eu égard aux desseins qu’elle ne trouva que trop l’occasion d’exécuter, car elle avait une commission de l’un de ses clients et qui était, soit de me débaucher, soit de me séparer de mon amant à tout prix.

Je vivais depuis huit mois avec cette chère idole de mon âme et j’étais grosse de trois, lorsque le coup funeste et inattendu de notre séparation arriva. Je passerai rapidement sur ces particularités, dont le seul souvenir me fait frissonner et me glace le sang.

J’avais déjà langui deux jours, ou plutôt une éternité, sans entendre de ses nouvelles, moi, qui ne respirais, qui n’existais qu’en lui et qui n’avais jamais passé vingt-quatre heures sans le voir. Le troisième jour, mon impatience et mes alarmes augmentèrent à un tel degré que je n’y pus tenir plus longtemps. Je me jetai aux genoux de Mme Jones, la suppliant d’avoir pitié de moi et de me sauver la vie, en tâchant au plus tôt de découvrir ce qu’était devenu celui qui pouvait seul me la conserver. Elle alla, pour cet effet, dans un Public-House du voisinage, où il demeurait, et envoya