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LES DIEUX, LES LOIS

tout de faiblesse, et l’autocrate universel, de puissance totale. Quelle place pour cette « liberté » de l’homme qu’on ne cesse d’invoquer ? La dignité même s’effondre dans l’accablement d’une sujétion éperdue.


Marchés cultuels et leurs résultats.


Au point où je viens de le conduire, l’homo religiosus, face à face avec son fétiche, demeure l’exemplaire authentique d’un mental commencement d’humanité. L’appellation de « Père », réclamée par le Dieu, se trouve à point pour maintenir le fidèle dans la stabilité d’une subordination réclamant un secours à tout instant de la vie. De l’homme à la Divinité, les relations, très simples, consistent à demander toujours, et à recevoir par accident. L’art profond d’une piété tenace est de s’en contenter.

Quel autre établissement de rapports ? L’achèvement des premiers rites, aujourd’hui bien déchus, ne prétendait à rien de moins qu’à forcer la décision divine. La puissance sacerdotale ne va plus jusque-là. Tout au plus apporte-t-elle une incitation à espérer. Toute l’entreprise humaine est de plaire au Dieu par des dons, par des débordements de Batteries comme d’humain à humain ? De quel prix peuvent être pour la Perfection absolue les louanges de l’Imparfait[1] ? N’y a-t-il pas trop de distance du Grand Tout à la bestiole humaine affolée ? Ajoutez qu’on ne saurait offrir au Dieu un présent qui ne soit de son bien. Quelle insigne folie de donner ce qu’on ne possède pas à qui en est le véritable possesseur ? Qu’est-ce que ces fleurs, ces papiers dorés, ces parfums qui dégradent le Dieu aux amusements des yeux et de l’odorat ?

  1. Un éminent japonais, M. Okakura Kakuzo, nous a récemment proposé, dans son Livre du Thé, d’inaugurer sans frais, sans sacerdoce et sans sacrifices, le culte de l’Imparfait. Pour nous encourager, il ne craint pas de nous annoncer qu’il a découvert l’absolu. « L’absolu, c’est le relatif », écrit-il tranquillement. Il y a peut-être dans tout cela plus de sagesse qu’on ne pense. Ils ont de la science, et même de l’esprit, au Japon.