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logis. Quant à Antonia je ne voulais pas y penser, mais je sentais son souvenir au fond de mon cœur, comme un poids naturel et douloureux. Je soupai rapidement dans le même restaurant où j’avais déjeuné le matin, et comme en sortant je retraversais la place Saint-Marc éclairée par des réverbères, je vis dans un point lumineux la fille au tambour, vêtue d’une tunique rouge à paillettes d’argent ; dans ses noirs cheveux nattés riaient et sautillaient des grelots de corail. Elle était presque belle dans ce costume qui la rendait fière et hardie ; au lieu d’accompagner la baladine de la veille c’était elle qui dansait avec agilité et élégance ; elle avait saisi les castagnettes qui claquaient en cadence dans ses doigts. Tout à coup elle me vit, et laissant là sa danse et les spectateurs en suspens, elle s’approcha vers moi en secouant sa belle robe et en criant qu’elle me la devait.

Je lui répondis qu’elle dansait à ravir. Une pensée me vint subitement :

— Voudriez-vous être engagée au théâtre ? lui dis-je.

Jesu Maria ! fit-elle, comme en extase à cette idée.

— Cela vous ferait donc bien plaisir ?

— Oh ! oui, serais-je la dernière des figurantes, répliqua-t-elle, j’aurais du moins mon pain assuré et de quoi me faire respecter.

La fin de sa phrase me fit rire.

— Vous croyez donc, lui dis-je, qu’on respecte beaucoup ces dames ?

— C’est chez moi qu’on me respecterait, reprit-elle ;