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le maître me traite mal et ne m’épouse pas plus que mes camarades, quoiqu’il me l’ait promis. Mais si je gagnais seulement deux ou trois sequins par mois au théâtre, il m’épouserait et je mettrais bien vite hors de chez lui toutes les autres. Elle me conta alors comment, ainsi que cinq ou six petites danseuses ou saltimbanques de la Piazzetta et de la place Saint-Marc, elle composait une sorte de harem à un robuste marchand algérien qui vendait des pastilles du sérail :

— Mais je suis sa première femme, me dit-elle avec orgueil, il m’a amenée de là-bas, tandis que les autres il les a ramassées sur le pavé de Venise.

— Et lui êtes-vous fidèle ? repris-je en riant.

— Oui, quand la misère et la rage ne sont pas les plus fortes, ma, signor, le théâtre ! le théâtre ! et je deviendrai une brave femme tranquille qui aimera bien ses enfants.

J’ai toujours remarqué que la femme la plus tombée aspirait à sa réhabilitation.

Je la quittai en lui promettant de m’occuper d’elle. J’achetai avec mon dernier écu un gros bouquet et je me rendis à l’opéra. J’avais ma place dans la loge du consul ; j’y étais à peine que l’amant de la prima donna entra et vint à moi tout ému.

— Ah ! monsieur, me dit-il, la fureur de Zéphira ne connaît plus de bornes ; elle prétend que Stella a mêlé un philtre au vin qu’elle lui a fait boire hier en soupant, que ce philtre l’a rendue sotte et brute et vous a éloigné d’elle ; elle se vengera, dit-elle, et je redoute qu’à