Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/445

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volontés ; ce n’est pas le trône d’un despote qu’elle renverse, c’est celui de l’erreur et de la servitude volontaires ; ce n’est point un peuple qui a brisé ses fers, ce sont les amis de la raison, chez tous les peuples, qui ont remporté une grande victoire : présage assuré d’un triomphe universel.

Cette révolution excite des murmures ; mais n’avait-on pas dû prévoir que, pour remettre les hommes à la place que la nature leur avait marquée, il faudrait en laisser bien peu à celle qu’ils occupaient ; et ce mouvement général pouvait-il s’opérer sans frottements et sans secousse ?

L’éducation n’avait point appris aux individus des classes usurpatrices à se contenter de n’être qu’eux-mêmes ; ils avaient besoin d’appuyer leur nullité personnelle sur des titres, de lier leur existence à celle d’une corporation ; chacun s’identifiait tellement à la qualité de noble, de juge, de prêtre, qu’à peine se souvenait-on qu’on était aussi un homme. Ils croyaient ce qu’on devait croire dans une telle profession ; ils voulaient ce qu’il était d’usage d’y vouloir. En les séparant de tout ce qui leur était étranger, on leur a tout ôté ; et ils se croient anéantis, parce qu’il ne leur reste plus que leur seule personne. Ils sont comme l’enfant à qui l’on a enlevé ses lisières et ses hochets, et qui pleure parce qu’il ne sait ni se soutenir ni s’occuper.

Plaignons-les de ne pas jouir de voir l’homme rétabli dans ses droits, la terre affranchie de son antique servitude, l’industrie délivrée de ses fers, la nature humaine sortie de l’humiliation, les opinions