Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/102

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jeunesse, et éprouvait une répugnance invincible en face de toute autre forme d’activité. Ce n’était pas de l’épouvante, il le reconnaissait à ceci que, tout persuadé de ne plus voir la prochaine aube, cette idée pourtant le laissait très calme.

Il est des moments de passivité héroïque auxquels parfois même les plus vaillants se résignent. Maint officier de marine garde sans doute dans le trésor de son expérience le souvenir de tel cas où tout à coup une crise de stoïcisme cataleptique s’empare de l’équipage entier d’un navire. Au demeurant, Jukes n’avait point grande pratique des hommes ni des tourbillons.

Il se tenait pour calme inaltérablement ; mais en vérité, il était moins calme que prostré ; et pas honteusement ; non, rien que pour autant qu’un honnête homme peut l’être sans devenir un objet de dégoût pour soi-même. On eût dit plutôt une sorte de narcose de l’esprit comme en sait provoquer l’insistance de la tempête ; l’attente d’une catastrophe interminablement imminente ; le corps aussi s’épuise