Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/103

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dans ce simple raccrochement à l’existence parmi le tumulte excessif ; c’est une lassitude insidieuse qui pénètre dans les poitrines, s’infiltre négligemment jusqu’au cœur et l’alourdit et le contriste — ce cœur incorrigible de l’homme qui, par-delà tous les biens de la terre, par-delà la vie même, aspire à la paix.

Jukes était plus engourdi qu’il ne le supposait. Il continuait pourtant à se tenir — trempé, transi, raidi de tous les membres. Dans une sorte d’hallucination, un carrousel de visions fugaces (on dit qu’un homme qui se noie revoit ainsi en un instant toute sa vie) lui remémora quantité de faits sans aucune relation avec la situation présente. Il se rappela son père, par exemple : un digne commerçant qui, à un mauvais tournant de ses affaires, se mit au lit tranquillement et passa tout aussitôt de vie à trépas avec une résignation exemplaire. Ce n’était du reste pas cet évènement qui se présentait à l’esprit de Jukes ; simplement il revoyait avec précision la figure de ce pauvre homme, et sans être particulièrement ému. Puis une