Page:Conrad - Typhon, trad. Gide, 1918.djvu/127

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Il répondit lugubre et défiant :

— « C’est bien mon tour de quart en bas, maintenant, hein ? »

Le cerveau-moteur cliqueta, stoppa, cliqueta de nouveau ; les yeux de l’homme de barre se projetaient hors de son visage vers la rose des vents de l’habitacle, comme deux oiseaux de proie affamés s’abattant sur un morceau de viande. Dieu sait depuis combien de temps il avait été laissé là, à la barre, oublié de tous ses camarades.

Aucune cloche n’avait sonné, pour aucune relève ; le vent avait balayé règle, coutume, emploi du temps ; mais lui, il essayait tout de même de garder cap au nord-nord-est. Le gouvernail pouvait bien être enlevé, les feux pouvaient bien être éteints, les machines brisées, et le navire prêt à rouler sur le flanc, sur le dos, comme un cadavre, il ne savait plus rien de rien. Son unique souci était de conserver sa jugeotte et la direction — souci mêlé d’angoisse, car la rose de compas, se trémoussant sur son pivot et bringueballant de droite et de gauche, parfois