Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/352

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une chose moins corruptrice qu’avoir toujours à redouter de la perdre[1]. Je suppose d’ailleurs établies et consacrées l’institution des jurés, la publicité des procédures et l’existence de lois sévères contre les juges prévaricateurs. Mais ces précautions prises, que le pouvoir judiciaire soit dans une indépendance parfaite, que toute autorité s’interdise jusqu’aux insinuations contre lui. Rien n’est plus propre à dépraver l’opinion et la morale publique, que ces déclamations perpétuelles, répétées parmi nous dans tous les sens, à diverses époques, contre des hommes qui devaient être inviolables, ou qui devaient être jugés.

Que, dans une monarchie constitutionnelle, la nomination des juges doive appartenir au prince, est une vérité évidente. Dans un pareil gouvernement, il faut donner au pouvoir royal toute l’influence et même toute la popularité que la liberté comporte. Le peuple peut se tromper fréquemment dans l’élection des juges. Les erreurs du pouvoir royal sont nécessairement plus rares. Il n’a aucun intérêt à en commettre ; il en a un pressant à s’en préserver, puisque les juges sont inamovibles, et qu’il ne s’agit pas de commissions temporaires.

Pour achever de garantir l’indépendance des juges, peut-être faudra-t-il un jour accroître leurs appoin-

  1. On s’est fortement élevé, dit Benjamin Constant, contre la vénalité des charges. C’était un abus, mais cet abus avait un avantage que l’ordre judiciaire qui l’a remplacé nous a fait regretter souvent. La vénalité sous l’ancienne monarchie rendait, en effet, les juges indépendants du pouvoir, mais il s’en faut de beaucoup que cette indépendance ait été absolue. Les rois trouvaient souvent moyen de faire fléchir les juges par des retranchements de gages, ou des réductions d’épices. À partir de Henri III, les charges de judicature tout en restant inamovibles deviennent héréditaires, et la magistrature française, pour obtenir à la fois la confirmation de l’inamovibilité et l’hérédité, fut taxée, en 1580, à, l’énorme somme de 140 millions.
    (Note de l’éditeur.)