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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/23

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me faut vous, autant qu’avant ce changement qu’hier a apporté dans ma situation[1], aussi longtemps, aussi sûrement. Ces courses interrompues, ces moments arrachés au hasard et goûtés avec inquiétude ne calment pas le feu qui me brûle… Je vous aime avec idolâtrie, et plus qu’on aima jamais. Que n’avez-vous été témoin de ma concentration sur une seule idée, vous ! Que n’avez-vous pu voir combien tout ce qui existe autour de moi m’est étranger !… Mon Anna, je n’aime que vous : Rien que le devoir, pour vous comme pour moi, m’empêche de vous arracher par la violence à tout ce qui nous entoure et vous emporter dans quelque endroit où je serais libre de vous contempler et de vous couvrir de baisers jusqu’à la mort. Mais il nous faut être dignes l’un de l’autre. Rien de dur, rien de cruel ne doit résulter du sentiment le plus noble qui fut jamais inspiré ou ressenti. Il faut attendre que nous puissions nous unir sans blesser aucun être qui soit en droit d’attendre que nous lui évitions de la peine. Mais jusque-là, par pitié, au nom de l’amour, permets-moi de te voir constamment. Sois bonne et généreuse. Il y a dans votre vie actuelle ces heures qui ne peuvent être miennes. Il y a celles que je suis condamné à donner à des devoirs passés et à la gratitude et à l’affection dont la justice me fait un devoir sacré.

  1. L'arrivée de Mme de Staël à Paris.