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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/44

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n’ayant aucun moyen de juger de la fidélité du compte rendu. Ce que je puis seulement vous dire d’avance, c’est que si vous n’êtes pas contente de moi, si vous me soupçonnez, vous avez tort. Je n’ai que deux idées dans le monde, et ce cœur si mort d’ailleurs, ne se ranime que pour ces idées : l’une de ces idées est de ne changer en rien votre situation sans la certitude qu’elle serait meilleure. L’autre, de vous donner tout le bonheur qui est compatible avec cette résolution, de ne prendre sur ma responsabilité aucun bouleversement dans votre vie. La pensée d’avoir à me reprocher la moindre diminution de repos, de moyens d’existence et de cette considération que vous avez acquise par tant de nobles qualités, et par une si fatigante lutte, cette pensée me donne un frémissement qui me prouve que, réalisée, elle deviendrait insupportable. Je puis me consoler de vous exposer à quelque ragot, de troubler un peu l’harmonie de votre salon : mais si je vous entraînais dans un pas irréparable, et si je ne versais pas ensuite sur votre existence tout le bonheur que vous méritez, et qu’il n’est peut-être pas en moi de donner, malgré mes efforts, je ne me le pardonnerais jamais. Je ne concevrais pas que vous vissiez dans le sentiment que je vous expose autre chose qu’une profonde moralité. Certes, Anna, si j’étais comme on le dit, perfide ou dur, quel motif me prescrirait ces ménagements ?