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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/45

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L’abandon d’une femme, aux yeux d’un monde indifférent et sévère, ne lie jamais un homme, et pour être à l’abri de tous reproches, il me suffirait de ne pas concourir activement à la démarche quelconque qui déciderait de votre sort. Je pourrai agir sur votre imagination, vous exalter la tête, vous faire rompre vos liens, avant que votre existence soit assurée. Vous laisser mettre le monde entier contre vous, et profiter ensuite précisément au degré qu’il me plairait, de vos sacrifices. Qu’est-ce qui m’arrête, si ce n’est le sentiment intime de ce que vous valez, et l’impossibilité de supporter le malheur d’un être que j’aime et que j’apprécie ? Anna, je connais la vie, cette vie dans laquelle les objets ont deux faces et se présentent toujours, lorsqu’on a agi, sous le point de vue opposé à celui sous lequel on les contemplait auparavant. Je connais le tourment des situations irréparables. Je sais combien, avec votre caractère fier, qui comme tous les caractères délicats, a besoin de l’approbation même de ce qu’il méprise, le blâme, la médisance, les propos d’une société qui me hait, influenceraient sur vous. Je connais aussi mon caractère, moral, sensible, quoi qu’on dise, et craignant plus le malheur des autres que le mien propre. Mais affairé, ambitieux peut-être, et ayant tellement agi sur lui-même pour ne pas souffrir, dans une carrière semée de souffrances, qu’il a perdu cette douceur qui