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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/62

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pour épuiser ce sujet, l’amour, mon amie, est-ce une chose qui s’enregistre, qui se constate, pour laquelle on s’engage ? Je serais entraîné aujourd’hui à la trahison vraiment coupable que vous me demandez, que vous n’eussiez pas de raison nouvelle, ou plus forte, de compter sur moi. Au contraire, l’homme faible, indélicat, et perfide est plus facilement infidèle. Celui qui livre sa maîtresse d’hier à celle d’aujourd’hui, a dans le cœur le germe d’une inconstance prochaine. Ce qu’il aime est déjà menacé, dès que ce qu’il aimait n’est plus sacré pour lui. L’amour est dans le sentiment, et non dans les sacrifices qu’on lui impose. Les sacrifices inutiles, les épreuves gratuites sont toujours funestes. Un sentiment involontaire, indépendant de sa nature, ne subsiste pas par des engagements, mais par le charme qui l’a fait naître. Que me proposez-vous encore, d’avouer à M. de L… que vous m’aimez et de partir de cette donnée pour régler vos intérêts avec lui ? Ici, Anna, je vous demande de m’écouter avec calme, j’invoque votre justice. Car la question que je vais traiter est délicate, mais il le faut. M. de L… vous doit de l’argent : c’est une chose incontestable. Mais vos titres ne sont connus que d’un très petit nombre d’amis : ils ne le seront jamais du public, même quand la nécessité vous forcerait, pour assurer la fortune de vos enfants, à recourir à des mesures légales.