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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/71

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de vivre sans moi, que la conviction que j’étais l’objet auquel vous rapportiez toutes vos pensées, que j’étais le but de toutes vos espérances, que ma pensée se liait à tous vos plans, se mêlait à tous vos intérêts, pour faire mon bonheur d’une manière complète et durable. D’après ce que je vous cite de votre lettre, vous ne pouvez m’offrir qu’une liaison de plaisir, et ce lien, Benjamin, est avilissant. Celle qui vous aima avec tant d’ivresse, ne peut descendre vis-à-vis d’elle-même, et renoncer à vous au risque d’en mourir, me semble cent fois moins affreux ! Cependant, je ne veux pas vous cacher à quel point vous remplissiez ce cœur malheureux, que vous regretterez sans cesse. Car on ne perd pas sans un éternel regret un sentiment aussi profond, aussi abandonné ! Que je souffrais ce soir ! je souriais, je riais même, et un poids énorme m’accablait : vous étiez là néanmoins… l’air de ma chambre était respiré par vous. C’est sur ce même canapé où je reçus vos premiers serments, que vous me dites que vous ne connaissiez que moi que le plaisir embellit : ce plaisir que je goûtais dans vos bras prenait sa source dans l’amour. Il était pur, et il m’a attachée à vous, et c’est lui qui cause maintenant mes profondes douleurs. Vous étiez calme, tandis que tous mes nerfs étaient en contraction. Benjamin, je ne puis aimer que vous, je ne puis être à vous. Je vous plains de