Aller au contenu

Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

peut-être qu’elle avait abdiqué la grâce et le charme de son sexe pour s’occuper de ces objets : c’est ce qui serait arrivé sans doute si elle s’y fût livrée par calcul, dans le but de se faire remarquer et d’obtenir de la considération et de l’influence ; mais, comme je l’ai dit en commençant, elle devait tout à la nature, et de la sorte elle n’avait acquis aucune de ses qualités aux dépens d’une autre. Cette même femme, dont la logique était précise et serrée lorsqu’elle parlait sur les grands sujets qui intéressent les droits et la dignité de l’espèce humaine, avait la gaieté la plus piquante, la plaisanterie la plus légère : elle ne disait pas souvent des mots isolés qu’on pût retenir et citer, et c’était encore là, selon moi, l’un de ses charmes. Les mots de ce genre, frappants en eux-mêmes, ont l’inconvénient de tuer la conversation ; ce sont, pour ainsi dire, des coups de fusil qu’on tire sur les idées des autres, et qui les abattent. Ceux qui parlent par traits ont l’air de se tenir à l’affût, et leur esprit n’est employé qu’à préparer une réponse imprévue, qui, tout en faisant rire, dérange la suite des pensées et produit toujours un moment de silence. Telle n’était pas la manière de Julie. Elle faisait valoir les autres autant qu’elle-même ; c’était pour eux autant que pour elle qu’elle discutait ou plaisantait. Ses expressions n’étaient jamais recherchées ; elle saisissait admirablement