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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/88

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un grand sacrifice. Les hommes, au contraire, à cette même époque, cessent d’avoir un but : ce qui en était un pour eux leur devient un lien. Il n’est pas étonnant que deux individus placés dans des relations aussi inégales arrivent rapidement à ne plus s’entendre ; c’est pour cela que le mariage est une chose admirable, parce qu’au lieu d’un but qui n’existe plus, il introduit des intérêts communs qui existent toujours. Julie détestait la séduction ; elle pensait à juste titre que les ruses, les calculs, les mensonges qu’elle exige dépravent tout autant que des mensonges, des calculs et des ruses employés pour servir tout autre genre d’égoïsme ; mais, partout où elle apercevait la bonne foi, elle excusait l’inconstance, parce qu’elle la savait inévitable, et qu’en prodiguant des noms odieux aux lois de la nature, on ne parvient pas à les éluder. Julie parlait donc sur l’amour avec toute la délicatesse et la grâce d’une femme, mais avec le sens et la réflexion d’un homme. Je l’ai vue plus d’une fois entre deux amants, confidente de leurs peines mutuelles, consolant, avec une sympathie adroite, la femme qui s’apercevait qu’on ne l’aimait plus, indiquant à l’homme le moyen de causer le moins de douleur possible, et leur faisant ainsi du bien à tous deux. Julie n’avait point d’idées religieuses, et j’ai quelquefois été surpris qu’avec une sensibilité