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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/91

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de réfléchir au mal que causent à la religion et aux êtres souffrants qui auraient besoin d’elle, l’esprit dominateur et l’intolérance dogmatique. Qui ne croirait, quand la douleur a pénétré dans les replis les plus intimes de l’âme, quand la mort nous a frappés de coups irréparables, quand tous les liens paraissent brisés entre nous et ce que nous chérissons ; qui ne croirait, dis-je, qu’une voix nous annonçant une réunion inespérée, faisant jaillir du sein des ténèbres éternelles une lumière inattendue, arrachant au cercueil les objets sans lesquels nous ne saurions vivre, et que nous pensions ne jamais revoir, devrait n’exciter que la joie, la reconnaissance et l’assentiment ? Mais le consolateur se transforme en maître ; il ordonne, il menace, il impose le dogme quand il fallait laisser la croyance germer au sein de l’espoir, et la raison se révolte, et l’affection, découragée, se replie sur elle-même, et le doute, dont nous commencions à être affranchis, renaît précisément parce qu’on nous a commandé la foi. C’est un des grands inconvénients des formes religieuses, trop stationnaires et trop positives, que l’aversion qu’elles inspirent aux esprits indépendants. Elles nuisent à ceux qui les adoptent, parce qu’elles rétrécissent et faussent leurs idées ; et elles nuisent encore à ceux qui ne les adoptent pas, parce qu’elles les privent d’une source féconde d’idées douces et de sentiments qui les rendraient meilleurs et plus heureux.