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Page:Constant - Adolphe (Extraits de la correspondance), 1960.djvu/92

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On a dit souvent que l’incrédulité dénotait une âme sèche, et la religion une âme douce et aimante. Je ne veux point nier cette règle en général. Il me paraît difficile qu’on soit parfaitement content de ce monde sans avoir un esprit étroit et un cœur aride ; et, lorsqu’on n’est pas content de ce monde, on est bien près d’en désirer et d’en espérer un autre. Il y a, dans les caractères profonds et sensibles, un besoin de vague que la religion seule satisfait, et ce besoin tient de si près à toutes les affections élevées et délicates, que celui qui ne l’éprouve pas est. presque infailliblement dépourvu d’une portion précieuse de sentiments et d’idées. Julie était néanmoins une exception remarquable à cette règle. Il y avait dans son cœur de la mélancolie, et de la tendresse au fond de son âme, si elle n’eût pas vécu dans un pays où la religion avait longtemps été une puissance hostile et vexatoire, et où son nom même réveillait des souvenirs de persécutions et de barbaries, il est possible que son imagination eût pris une direction toute différente. La mort du dernier fils de Julie fut la cause de la sienne, et le signal d’un dépérissement aussi manifeste que rapide. Frappée trois fois en moins de trois ans d’un malheur du même genre, elle ne put résister à ces secousses douloureuses et multipliées. Sa santé, souvent chancelante, avait paru lutter contre la nature aussi longtemps que l’espérance l’avait soutenue,