Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/409

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eussent été abandonnés à la merci des courants incertains de l’océan ; un changement de vent pouvait occasionner un changement de direction et rendre une rencontre impossible ; une brise plus violente pouvait causer la destruction du radeau, même avant que le secours arrivât. Pour ajouter à tous ces hasards on pouvait supposer que les matelots du brigantin, connaissant le sort de la corvette, pouvaient croire accompli le malheur de ceux qui l’avaient quittée.

Cependant la fortune semblait favorable, car la brise, quoique calme, était légère, et l’intention du brigantin de passer près d’eux était si évidente, que l’espérance qu’il était à leur recherche vint ranimer tous les cœurs.

À l’expiration de l’espace de temps que nous avons indiqué, le brigantin passa le radeau sous le vent et si près, que tous les plus petits objets dans ses agrès devinrent distincts.

— Ces fidèles matelots nous cherchent, s’écria le contrebandier avec une vive émotion. Ce sont des gens qui parcourraient plutôt toute la côte que de nous abandonner !

— Ils nous passent, levez le signal, — il pourra attirer leurs regards.

Le petit pavillon fut déployé, et après quelques instants d’anxiété les malheureux éprouvèrent la douleur de voir le rapide bâtiment passer et glisser assez loin en avant pour ne leur laisser aucune espérance de retour. Le cœur de l’Écumeur lui-même parut brisé par ce désappointement :

— Je ne crains rien pour moi-même, dit-il avec mélancolie ; qu’importe dans quelle mer ou dans quel voyage un marin trouve son humide tombeau ! mais pour toi, ma jeune et gaie Eudora, j’aurais désiré un autre sort. — Ah ! — le brigantin vire de bord, — la Dame Vert de Mer a un instinct pour ses enfants, après tout !

Le brigantin était immobile. Dix ou quinze minutes plus tard il revint vers le radeau.

— S’il nous passe maintenant, toute espérance est perdue sans retour, dit l’Écumeur, en faisant signe à ses compagnons de garder le silence. Puis appliquant sa main à sa bouche, il s’écria comme si le désespoir lui prêtait les poumons d’un géant :

— Ohé ! oh ! la Sorcière des Eaux ! — Ohé !

Ce dernier mot sortit de ses lèvres avec le bruit aigu que ce cri particulier est calculé pour produire. On eût dit que le petit bâtiment reconnaissait la voix de son commandant, car sa course