Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 16, 1839.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature trop sérieuse pour qu’on puisse légèrement se dispenser de les remplir, et j’étais convaincu que ni elle ni moi nous ne pouvions être contents de nous-mêmes sans nous acquitter des devoirs de l’état dans lequel nous étions entrés.

— Et pourquoi ne vous êtes-vous pas hâté d’aller retrouver votre femme, cousin John, quand vous avez quitté les États du sud-ouest ?

— Hélas ! ma chère Ève ! une lettre que je trouvai à Saint-Louis m’annonça qu’elle était morte. On ne m’y disait pas qu’elle eût donné le jour à un enfant, et je n’avais pas la moindre idée que je dusse devenir père. Mildred une fois morte, je crus que tous les liens, toutes les obligations, toutes les traces de ce mariage mal avisé avaient disparu, et les procédés de ses parents, dont il ne restait alors qu’un très-petit nombre dans ce pays, ne me donnèrent aucune envie de le reconnaître publiquement. En gardant le silence, je continuai donc à passer pour garçon ; mais s’il avait existé quelque raison plausible pour avouer tout ce qui était arrivé, je crois qu’aucun de ceux qui me connaissent ne soupçonnera que j’eusse hésité à le faire.

— Puis-je vous demander, mon cher Monsieur, demanda Paul avec un air de timidité qui prouvait combien il jugeait nécessaire de ne parler qu’avec circonspection d’un sujet si délicat, puis-je vous demander quelle fut la marche que suivirent les parents de ma mère ?

— Je n’ai jamais connu M. Warrender, le frère de ma femme mais il avait la réputation d’être un homme hautain et exigeant. Le style de ses lettres n’avait rien d’amical, à peine étaient-elles supportables. Il affecta de croire que j’avais donné une fausse adresse dans l’Ouest, tandis que je demeurais dans les États de l’intérieur, et ces lettres contenaient des insinuations qui étaient alors incompréhensibles pour moi, mais que les lettres que Paul m’a laissées m’ont suffisamment expliquées. Je le regardais alors comme cruel et insensible ; mais sa conduite n’était pas sans excuse.

— Quelles étaient-elles, Monsieur ? demanda Paul avec vivacité.

— J’ai vu dans les lettres que vous m’avez laissées, mon fils que la famille de votre mère s’était figuré que j’étais John Assheton de Lancaster, homme d’une humeur bizarre, qui avait fait un malheureux mariage en Espagne, et dont la femme, je crois, vit encore à Paris, quoiqu’elle soit perdue pour elle-même